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montée sur un char, « escortée de quinze étoiles qui s’escriment à des pas savans, » tandis qu’elle débite ce couplet :


Bien que nous soyons innocentes
Des coups dont nous blessons les cœurs,
On dit que nos grâces naissantes
Exercent beaucoup de rigueurs :
Mais, si déjà dedans les âmes
Nos regards allument des flammes
Qui causent tant de maux divers,
C’est un arrêt des Destinées
Que nous brûlions tout l’Univers,
Dès que nous aurons quinze années.


Pour la plupart des petites figurantes de ce ballet mythologique, « l’arrêt des Destinées » devait se réaliser, mais, pour aucune, plus complètement que pour Isabelle de Montmorency. Dès l’âge de quinze ans, elle est experte dans l’art de la galanterie. Elle en a reçu les premières leçons non seulement à la Cour, lors des rares apparitions qu’elle y fait mais encore et surtout à l’hôtel de Condé et à Chantilly où la maternelle tendresse de Charlotte de Montmorency, princesse de Condé, mère du Duc d’Enghien, le futur vainqueur de Rocroy, lui assure un dévouement et une protection dont cette délicieuse princesse ne cessera de lui prodiguer les témoignages. Dans ces demeures enchantées, parmi les brillans gentilshommes et les jeunes beautés qui en sont la parure, sous l’inspiration des beaux esprits qui en relèvent l’éclat, on suit les traditions de l’hôtel de Rambouillet, on disserte sur la carte du Tendre, on versifie, on échange à l’envi des rondeaux, des sonnets, des bouts-rimés. « L’amour s’en mêle forcément, » et Mlle de Bouteville est bientôt passée maîtresse dans ces jeux qui ne la disposent que trop aux aventures galantes.

Sa sœur Marie-Louise, son aînée de dix-huit mois, qui sera duchesse de Valençay, est belle aussi, mais d’une beauté plus douce et plus grave et ne lui ressemble ni par l’humeur ni par les goûts. Sa physionomie charmante et reposée laisse deviner ce que sera sa vie ; une fois mariée, elle se consacrera uniquement à ses devoirs. Se renfermant dans son bonheur familial, elle s’appliquera à ne pas faire parler d’elle et méritera cet éloge de Saint-Simon : « Mère tendre, épouse fidèle, modeste et dénuée d’ambition, elle borna ses désirs à couler ses jours dans la paix. »