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verront la jeune duchesse, — elle avait vingt-quatre ans, — tenir tête à Mazarin, ne reculer devant aucun moyen pour triompher de lui et pousser si loin la volonté de le détruire qu’elle sera soupçonnée d’avoir voulu le faire assassiner. La duchesse de Chevreuse n’en avait pas fait autant contre Richelieu. Malgré tout cependant, si l’on entreprenait d’établir une comparaison entre ces deux grandes dames, qui ont rivalisé d’audace, d’esprit et d’intrépidité au profit d’une cause détestable, l’avantage resterait à la duchesse de Châtillon, à laquelle on ne peut contester le mérite d’avoir tout fait pour détourner Condé de recourir à l’étranger et de n’avoir pas voulu le servir dans ses desseins quand elle eut compris qu’ils reposaient sur un crime de lèse-patrie. Ceci doit lui être compté, et il n’est pas moins juste de rappeler qu’après son second mariage avec un prince étranger, elle n’oublia pas qu’elle était née Française et s’efforça « d’être utile au Roi » dans toutes les circonstances où il lui fut donné de l’être.

Quant aux désordres de sa vie privée, autour desquels a régné et règne encore une confusion qui ne permet guère d’en préciser l’étendue, il faut reconnaître avec son historien qu’ils résultèrent surtout des mœurs de son temps. Elle n’a été sous ce rapport ni meilleure, ni pire que beaucoup de grandes dames ses contemporaines et s’il est plus souvent question d’elle que de tant d’autres, c’est que son rôle dans la Fronde l’avait mise en vedette. Elle mourut en 1695. Il y avait trois ans qu’elle était veuve pour la seconde fois, trois mois qu’elle pleurait son frère le maréchal de Luxembourg auquel on l’avait vue se dévouer avec passion, lorsqu’il avait été compromis dans le procès de la Voisin. Depuis longtemps, elle était rentrée dans le devoir, et ses fréquens séjours, vers la fin de sa vie, chez les religieuses bénédictines de la rue Cassette, témoignaient de son désir de se faire pardonner les scandaleux écarts de sa jeunesse.

Avec elle disparaissait la dernière des héroïnes de la Fronde, la Grande Mademoiselle et la duchesse de Longueville l’ayant précédée dans la tombe, sans que leur mort, pas plus que la sienne, laissât aucun vide. A la cour de Louis XIV, domestiquée et asservie par une main de fer, il n’y avait plus de place pour des femmes de ce caractère et de cette trempe. Désormais, parmi les charmeuses qui occuperont ce brillant théâtre, on ne verra plus de révoltées, pas plus qu’on n’y verra de rebelles parmi les