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grands seigneurs : les uns et les autres rivaliseront d’efforts pour affirmer leur soumission à la volonté du Roi. « La souplesse, écrit Saint-Simon, la bassesse, l’air admirant, dépendant, rampant, plus que tout, l’air de néant sinon par lui, étaient les uniques voies de lui plaire. Pour peu qu’on s’en écartât, on n’y revenait plus. Ce poison ne fit que s’étendre. Il parvint jusqu’à un comble incroyable. » Ainsi, dans cette Cour où naguère grondait la révolte, la courtisanerie est devenue l’arme des ambitieux ; ils n’exigent plus ; ils sollicitent et leur faveur se mesure à leur servilité.

Nous savions tout cela par les Mémoires du temps. Mais, voici qu’à l’appui de leurs dires, M. le duc de La Force nous apporte un récit d’histoire, consacré au fameux Lauzun, l’un des plus illustres courtisans du Roi Soleil. Le talent qu’il y révèle et une documentation consciencieuse, très heureusement fortifiée par des traditions de famille, impriment à ce récit autant d’intérêt que d’autorité. J’ai fait remarquer au début de cette étude qu’en histoire, quelque épuisé que paraisse un sujet, il est rare qu’il ne se prête pas à des révélations nouvelles et parfois inattendues. Le livre de M. le duc de La Force ne démontre pas moins que ceux dont j’ai parlé avant de parler du sien l’exactitude de ce propos. Bien qu’il semblât en effet qu’Antonin Nompar, d’abord marquis de Puyguilhem, plus tard duc de Lauzun, était un de ces personnages sur lesquels nous n’avons plus rien à apprendre, on ne connaissait guère que son nom et le plus retentissant des événemens de sa vie, c’est-à-dire le piquant roman de ses amours avec la Grande Mademoiselle. Bien des documens le concernant et notamment sa volumineuse correspondance, conservée à Paris au Dépôt du Ministère de la Guerre, en Angleterre et en Italie dans des Archives privées ou publiques, n’avaient jamais été publiés. C’est à cette source que M. le duc de La Force s’est documenté et a puisé les élémens des pages charmantes qu’il nous présente aujourd’hui, tableau vivant et animé de la cour de Versailles, de ses mœurs, de ses intrigues et qui complète heureusement celui qu’en ont tracé Saint-Simon et d’autres mémorialistes ses émules.

Dans ce décor d’une magnificence sans égale, reconstitué avec ses changemens à vue, aussi variés qu’imprévus, se déroulera toute la destinée de Lauzun et, parmi les acteurs qui le parcourent, il se distinguera par les soubresauts et les péripéties