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de la tradition. À travers nos classiques du XVIIe siècle, cette tradition remonte jusqu’aux anciens, qui sont les maîtres de la forme et ont, une fois pour toutes, dessiné ces grandes lignes de l’art où notre génie français a trouvé la discipline qui lui convenait.

L’autre partie du plafond de M. Besnard présente une masse sombre, d’un vert vigoureux, où l’on distingue, près du temple que décorent les statues des grands écrivains de théâtre, l’arbre de la science du bien et du mal : à droite et à gauche, deux figures, l’une angoissée et l’autre riante, personnifient la tragédie et la comédie. C’est dans sa simplicité un symbole ingénieux et profond. Le théâtre ne vit, en effet, que du spectacle de nos fautes ; et c’est des mêmes fautes qu’il fait jaillir tour à tour les larmes et le rire. Il peut en gémir ou s’en amuser, en isoler le côté douloureux ou l’aspect ridicule ; mais c’est la même substance qui supporte les deux formes opposées du théâtre : la manière est changée, mais non pas la matière. Au fond de tout auteur dramatique digne de ce nom, il y a un moraliste. Ce n’est pas à dire qu’il doive être un professeur de vertu, ni qu’il soit aucunement admis à prêcher et à dogmatiser en scène. Mais rien de ce qu’il écrit n’est sans rapport avec l’état de nos mœurs et sans influence sur notre conduite. C’est pourquoi on est bien fondé à lui demander compte du contenu moral de son œuvre…

La soirée de rentrée, uniquement consacrée au répertoire classique, fut triomphale ; du moins l’ai-je entendu dire, car la presse n’avait pas été conviée : on était entre soi, sans journalistes. Quand M. Mounet-Sully vint lire un « Salut au public » composé par l’administrateur de la Comédie, ce fut du délire, et il fallut que M. Claretie vînt, à plusieurs reprises, s’offrir aux applaudissemens. Dans cette chaleur d’enthousiasme il y avait d’abord, au moment où le bruit, — plus ou moins fondé, — a couru que M. Claretie se sentait fatigué et souhaitait du repos, l’expression d’une très sincère gratitude à l’adresse de celui qui, pendant vingt-huit ans, a porté un lourd fardeau, et n’a voulu être, à la tête de notre théâtre national, qu’un homme de lettres soucieux du plus grand bien de notre littérature dramatique. Il y avait aussi un témoignage de cet attachement profond qu’a le public de chez nous pour une maison qu’il considère comme lui appartenant et comme étant un bien de famille. Dans aucun autre pays, on ne trouve l’analogue de notre Comédie-Française. Au meilleur sens du mot, ce théâtre est une institution. À travers trois siècles, on y saisit la continuité de notre effort littéraire, et l’esprit français s’y reflète en des