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images accomplies. Aussi l’opinion publique ne se trompe-t-elle pas quand elle attache à tout ce qui s’y passe un si vif intérêt.

Et maintenant, au travail ! Comme premiers spectacles, la Comédie a donné l’Yvonic de M. Paul Ferrier, joué cet été à l’Opéra-Comique et dont j’ai rendu compte, et la Sophonisbe, de M. Alfred Poizat, qui nous arrive du théâtre d’Orange. M. Poizat est un fervent de la tragédie. Il a donné d’abord, non sans succès, des tragédies à la manière antique, qui étaient des adaptations du théâtre grec. Il a voulu cette fois écrire une tragédie à la manière classique, ce qui n’est pas du tout la même chose. Voici à peu près comment il raisonne. « La tragédie est, par sa pureté de dessin, une forme d’art vraiment supérieure et que, même après la révolution romantique, il convient de ne pas laisser périr. La fameuse règle des trois unités qu’on a tant raillée, et de façon si inintelligente, est encore le meilleur moyen qu’on ait trouvé pour ne pas laisser l’intérêt se disperser et pour le concentrer au contraire sur ce qui importe : l’analyse des sentimens, la vie intérieure des personnages, l’âme du sujet. Elle emprunte à l’antiquité de grands faits et de grands noms, dont le prestige imprime à l’œuvre tout entière un caractère de noblesse incomparable. Mais si les noms sont anciens, elle sait que les situations sont de tous les temps, que l’histoire se recommence sans cesse, et que, dans son fond, le cœur ne change pas. Hors le costume et le décor, tout y est d’aujourd’hui ; et ce composé de l’antique et du moderne a des chances de contenir la plus grande somme d’humanité. » On ne saurait mieux raisonner. Pourquoi maintenant, entre tant de sujets, choisir Sophonisbe ? Dans son nouveau volume. En lisant Corneille, M. Emile Faguet remarque que Sophonisbe est peut-être le sujet de tragédie qui a été le plus exploité sur tous les théâtres. « Il a été traité, en Italie, par Galeotto del Carreto, par Trissino, par Alfieri ; en Angleterre, par Marston, par Lee, par Thomson ; en France, par Montchrétien, par Mairet, par Corneille, par Voltaire, et j’en oublie plus que je n’en cite. On peut douter pourtant que ce soit un sujet qui soit très bon, car aucun chef-d’œuvre n’y ressortit. » C’est probablement ce qui a déterminé M. Poizat : il a voulu n’être gêné par aucun souvenir écrasant. Il est évident que si on fait des tragédies au XXe siècle, il est imprudent de refaire Andromaque, ou Esther, mais qu’on peut ajouter une unité au lot des Sophonisbes que nous ont léguées les siècles précédens.

Vous savez, ou, à tout hasard, on vous fait ressouvenir, que Sophonisbe est une reine de Mauritanie assiégée dans Cirta où son mari, Syphax, lutte désespérément contre les Romains de Scipion et