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revoir, embrasser encore une fois cette tête si chère. Vous pensez bien que Puysieux n’a pas été seulement égratigné : l’annonce de sa blessure est une ruse et une ruse classique. C’est même un défaut de cette pièce que les moyens employés y soient vraiment trop connus et s’aperçoivent de trop loin. Cette fois Georges est pleinement édifié. Disons à sa louange qu’il n’envisage pas un seul instant la possibilité d’être un mari complaisant ; il a sur la matière des principes d’une rigidité intraitable qu’il exprime en style lapidaire : « Quand on a épousé une femme riche, que cette femme vous trompe, qu’on le sait et qu’on la garde, on est un... » Ici, un mot trop énergique pour que je le transcrive ; mais que l’idée est juste ! Georges s’éloigne. Et les deux amans, s’étant retrouvés dans les bras l’un de l’autre, Francine gémit : « Pauvre Georges ! »

Ce « Pauvre Georges ! » qui est le mot de la fin, est aussi le mot de la pièce. Il en contient tout le sens. Dans la bouche de Francine, il exprime l’infinie pitié des héros de la passion pour celui dont ils font leur victime. En le trompant, ils le plaignent ; ils compatissent au mal qu’ils lui font : pauvre Georges ! Pourquoi ce mot nous a-t-il fait sourire et les larmes dont il est mouillé nous ont-elles fait songer à celles que versent, dit-on, les crocodiles ? Mot d’élégie tragique, un malentendu persistant nous l’a fait prendre pour un mot de comédie. C’est l’inconvénient inhérent à toutes ces aventures qui ressortissent à la passion. Si on n’a pas réussi à nous les faire prendre pour de « beaux crimes, » elles nous apparaissent telles qu’elles sont en réalité : d’une écœurante platitude.

Mme Cora Laparcerie a été une très dramatique Francine, surtout dans les scènes échevelées du troisième acte. M. Dumény a joué avec tact et adresse le rôle ingrat du pauvre Georges. M. Jean Worms a de la distinction dans le rôle d’André Puysieux.


Maintenant, descendons de quelques degrés. Les Requins appartiennent à cette catégorie de tableaux de mauvaises mœurs, qui sont l’une des plus appréciables nouveautés du théâtre de ces dernières années, et pour lesquels le qualificatif de « théâtre brutal » est un euphémisme. Où sommes-nous et dans quels bas-fonds ? C’est le matin et une aimable jeune fille vient nous conter l’emploi de sa nuit. Elle s’est fiancée. Comment cela ? Le jeune homme l’a prise dans ses bras et lui a collé sur les lèvres des tas de baisers qu’elle lui a rendus avec usure. Voilà. Le désir de ne pas perdre la saveur de ces baisers l’a seul empêchée d’accompagner son charmant frère qui, à quatre heures