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du matin, emmenait les jeunes filles finir la nuit à Montmartre. Cependant, au coin de la cheminée, dialoguent une vieille dame et une jeune femme, qui sont la mère et la femme de Gérard Trasky, et les propos qu’elles échangent nous renseignent et nous édifient sur le triste personnage qui est le maître de céans. Il appartient, en quelle qualité ? au monde des affaires, et des plus véreuses. Il a gagné, par quels moyens ? et dépensé, de quelle façon ? des millions. Signe particulier : marié, divorcé, remarié, divorcé à nouveau, il en est à sa quatrième ou cinquième femme : excusez-moi de n’avoir pas retenu exactement le numéro. Ce Barbe-Bleue moderne ne tue pas ses femmes, il se contente de les répudier. Jeanne, l’épouse actuelle, sent venir l’heure de l’inévitable séparation, et, à des signes certains, reconnaît en Geneviève Lariège sa prochaine remplaçante. Cette Geneviève Lariège est mariée à un mari qu’on ne voit jamais, car ce joli monsieur, joueur et tricheur, écume les tripots du monde entier. Nous sommes, ainsi que vous le voyez, dans la meilleure société. Il paraît que Gérard Trasky est complètement ruiné : Geneviève lui offre son amour et l’héritage espéré d’un oncle d’Amérique.

Second acte : le financier aux abois. Gérard Trasky, perdu de dettes, a frappé à toutes les portes qui maintenant restent obstinément fermées. Il va être saisi, vendu, et, pour échapper aux poursuites, il n’a plus qu’une ressource : la fuite. Il prend ses mesures en conséquence : l’une d’elles a consisté à écrire aux enfans naturels qu’il a dans diverses parties du monde qu’il suspendait leur pension ; car, indépendamment de ses femmes officielles, ce don Juan de bas étage a eu d’innombrables liaisons d’où il lui est né tout un peuple de rejetons. Deux de ces jeunes gens arrivent l’un de Nancy, l’autre de Londres ; leur père les présente l’un à l’autre ; leur grand’mère les serre tendrement dans ses bras. Déliquescence et bouffonnerie.

Au troisième acte, le mari de Geneviève revient des régions internationales et interlopes où il opère, car il est chargé du dénouement. Il est décavé comme Gérard Trasky est ruiné. Les deux hommes s’injurient à gueule que veux-tu. « Tu nous embêtes ! — Il est fou ! — II est saoul. — Tu baves ! — Si je te trouais la peau ! — Il est hideux ! » Tel est ce dialogue de théâtre. La dernière réplique a du moins l’avantage de résumer la situation... N’insistons pas ! Cette pièce, — si c’en est une — faite de trois petits actes courts et traînans, vides et interminables, est ce que j’ai depuis longtemps entendu de plus désobligeant, mais aussi de plus incohérent et de plus plat.