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même quantité de mouvement, seulement il se déplace. Pour ce qui est des pronostics, il faut renoncer à en émettre ; les Balkans sont le pays des surprises et, comme disait nous ne savons plus quel personnage de théâtre, on doit toujours s’y attendre à de l’imprévu. Toutefois ces incidens dont la rapide succession déconcerte ont toujours la même cause, que nous avons bien souvent signalée, à savoir les haines inexpiables que les pays balkaniques se portent mutuellement ; ils étaient obligés de les refréner en quelque mesure lorsque les Turcs étaient les plus puissans ; ils s’y adonnent avec rage, maintenant que la Turquie a été abattue. Abattue, l’est-elle au point qu’on l’avait crue d’abord ? Les derniers événemens en font douter. Elle l’est cependant assez pour qu’on la craigne moins et pour que certains États balkaniques, après s’être alliés aux autres contre elle, manifestent une tendance de plus en plus apparente à s’allier maintenant à elle contre d’autres.

Que cette politique soit dangereuse pour les États balkaniques, on n’en saurait douter, car elle permet à la Porte de reprendre une force dont nul ne sait l’usage qu’elle fera finalement. C’est une perspective que l’Europe, ou, du moins, une assez grande partie de l’Europe, peut envisager sans appréhension, mais qui devrait, semble-t-il, inspirer de l’inquiétude aux Balkaniques eux-mêmes. Quelle aberration que celle de la Bulgarie par exemple, s’il est vrai, comme on commence à le dire beaucoup, que, semblable au cheval de la fable qui a voulu se venger du cerf, elle s’entend avec la Porte pour se venger des Grecs, en attendant qu’elle recommence pour se venger des Serbes ! La Porte ne se fera pas prier pour l’aider, mais, le lendemain, elle sera redevenue la maîtresse. Elle a peut-être aujourd’hui la meilleure armée des Balkans, celle qui a été le moins éprouvée par la guerre et qui dispose de l’effectif le plus nombreux. Qui aurait pu croire que la chose redeviendrait possible le lendemain de Kirk-Kilissé et de Lulle-Burgas ! La dernière heure de la Turquie semblait alors avoir sonné et on ne voyait rien entre l’armée bulgare et Constantinople qui pût arrêter ou même ralentir la marche foudroyante de la première, ni préserver la seconde de l’invasion et de la ruine. L’événement a été si soudain, si brutal et a paru si décisif, que l’opinion universelle en a été déconcertée. Les vainqueurs eux-mêmes en ont éprouvé une telle stupeur qu’ils en sont restés paralysés sur place. L’événement s’étant produit, il a fallu l’expliquer et chacun a apporté son explication : dans toutes il y avait une part de vérité. La nôtre a été que, si les Turcs avaient été si complètement battus dès les premiers jours