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qui commence à Royer-Collard, à Benjamin Constant, qui se continue avec les Casimir Perier et les Guizot, pour aller s’éteignant avec les Léon Say et les Aynard ; ils ont cru à la « liberté politique » et ils ont pensé la réaliser sous Louis-Philippe ; ils ont espéré, d’après Cobden et Bastiat, avec de grands chrétiens comme Gratry, voir sortir de la « liberté économique » une fraternité nouvelle des hommes et des peuples ; ils s’inspiraient de l’exemple d’une Angleterre « libérale » qui, elle-même, a disparu, si tant est qu’elle ait jamais existé telle qu’ils se la représentaient. Il y avait, certes, dans toutes ces conceptions, une part d’illusions, mais il est de pires illusions ! Par là, Anatole Leroy-Beaulieu appartient à un passé qui ne reviendra pas, du moins sous la même forme. Mais je crois avoir montré que tout son système d’idées n’est, chez lui, que l’écorce de l’homme pensant ; elle recouvre une âme infiniment sensible et délicate, sous un extérieur froid et presque distant, un cœur enthousiaste et généreux, enflammé, pour la justice et la liberté, non pas d’une passion théorique et idéologique, mais d’un amour effectif qui s’applique à tous ceux, peuples ou individus, qu’il estimait victimes de l’injustice ou de l’oppression. L’idéologie d’Anatole Leroy-Beaulieu était profondément imprégnée de christianisme, de foi catholique.

J’ai indiqué la nuance de son catholicisme, à la fois « libéral, » en ce sens qu’il se faisait l’idée la plus élevée de la valeur sans seconde d’une âme humaine, d’un individu humain, d’une pensée humaine, et du respect que mérite une si haute dignité, — et traditionnel, en ce sens que sa foi reconnaissait l’autorité établie dans l’Église et acceptait l’enseignement séculaire de la doctrine. Apôtre de la réforme morale, il en voyait l’instrument indispensable dans la religion, et spécialement dans le catholicisme. La rupture de tout lien entre l’Église et l’Etat lui semblait une aberration également funeste à ces deux grands pouvoirs moraux ; aussi, au moment où fut votée, en France, la séparation de l’Église et de l’État, vit-on ce grand « libéral, » adversaire de l’étatisme, s’unir aux plus notoires des catholiques « sociaux » pour informer le Pape qu’il existait, chez nous, des catholiques persuadés que l’Église et l’État avaient l’un et l’autre intérêt à ne pas vivre en ennemis, à ne pas s’ignorer l’un l’autre, et qui les regardaient, selon l’enseignement traditionnel de l’Église, même lorsqu’ils sont séparés par des différends passagers,