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et les coutumes du pays zaër. Mais, d’un naturel conciliant, il ne lançait jamais ses idées à l’assaut contre les opinions de ses chefs. Et, tandis que les officiers de l’état-major discouraient avec gravité sur la nature et les intentions des cavaliers mystérieux, il expliquait doucement à Pointis le plan probable des ennemis : « Voyez-vous, disait-il, cet interminable convoi qui alourdit notre marche ? Nous ne pourrons arriver au point d’eau choisi pour l’étape ; nous sommes obligés de nous arrêter avant la nuit, et la source la plus proche est située dans un bas-fond que je connais. Au Maroc, les avant-postes ne s’éloignent pas de la troupe qu’ils doivent protéger. Pendant la nuit, les dissidens seront donc libres de s’installer sur les hauteurs voisines du bivouac, et de tirer dans le tas aussi longtemps qu’ils auront des munitions. Nous riposterons tant bien que mal. Dès le jour, nous compterons la « casse, » tandis que les ennemis, disparus avec l’aube, triompheront dans leurs douars. »

Cependant, la théorie du convoi se rapprochait. Les fractions de l’arrière-garde apparaissaient à leur tour dans les éclaircies encore lointaines des fourrés. Vers le Sud, nulle silhouette ne se montrait plus sur les ondulations qui s’estompaient déjà dans la brume légère du soir. Mais les prévisions de Merton se réalisaient. Un contre-ordre modifiait les projets annoncés au départ et que l’heure tardive rendait inexécutables. L’étape était diminuée de plusieurs kilomètres, pour permettre à tous, bêtes et gens, de s’installer avant la nuit autour d’un chapelet de flaques profondes qui miroitaient non loin du col. Et, malgré cette variante inattendue, les étoiles brillaient depuis longtemps dans un ciel d’encre quand les derniers arrivés eurent dressé leurs petites tentes au bord des tranchées qui protégeaient le bivouac.

Dans la cohue des animaux qui s’entassaient au fond du vallon herbeux d’où montait un tumulte de cris dissonans et rageurs, Pointis errait avec une infatigable patience, à la recherche de ses bagages et de renseignemens. Il savait que, en campagne, les conducteurs de mulets sont, avec les cuisiniers, la corporation la mieux avertie des nouvelles du théâtre de la guerre et des intentions des grands chefs. Mais, cette fois, s’il trouva aisément sa petite caravane, il ne réussit pas à satisfaire sa curiosité. Du chef de convoi, comme du dernier des tringlots, il ne put tirer que des suppositions vagues : « On ne sait pas ce qu’on fera demain... tout dépend de ce qui se passera cette nuit... »