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Pointis, impressionné par ces pronostics peu rassurans, se hâta de faire disparaître sa tente dans un repli du sol, pour s’abriter contre la pluie prochaine de balles, amies ou ennemies, que l’instinct de la conservation lui faisait pressentir. Et, découragé par les difficultés d’une marche de nuit à travers les ballots épars, les cordes d’attache, les animaux échappés, il renonça dès les premiers pas à rejoindre ses commensaux habituels pour le repas du soir. Seul sous ses toiles, il grignota sans appétit quelques vivres de circonstance, avant de se coucher tout habillé sur le petit lit de campagne où il s’annihila péniblement dans un sommeil angoissé de cauchemars.

Un fracas de détonations sèches et graves, un bruissement d’orage traversé par des sifflemens plaintifs, des imprécations toutes proches, des commandemens impérieux, le frôlement ponctué de cliquetis d’armes d’une foule qui semblait ramper, l’éveillèrent en sursaut : « La voilà bien, l’attaque de nuit. Pourvu qu’ils ne soient pas dans le camp... » grommela-t-il. Et, le browning à la main, il se précipita hors de la tente, prêt à vendre chèrement sa vie. Mais il s’arrêta aussitôt, émerveillé.

La pleine lune à son zénith jetait sur la campagne une clarté vive. Des points brillans, aux éclipses rapides, dessinaient sur les hauteurs qui entouraient le camp des illuminations pareilles aux girandoles de gaz d’une fête foraine. D’autres, moins nombreux, apparaissaient dans les fonds d’où s’élevaient des clameurs. Une harpe gigantesque, caressée avec fougue par des mains agiles, semblait frissonner sur le camp ; mais ses cordes invisibles étaient tracées par les balles des fusils de tous les types connus. Des chocs mats dans les charges déposées à terre, des plaintes de blessés, des soubresauts de bêtes atteintes par les projectiles, faisaient au concert de la fusillade et des cris un lugubre accompagnement. Sur les crêtes couvertes d’un glacis de lumière blonde, dans l’ombre des vallons tout proches, des voix coléreuses injuriaient les Roumis, invectivaient les partisans et les goumiers. Vers le douteux abri des tranchées, les troupiers se coulaient en rampant, tandis que les Sénégalais, confians dans leurs gris-gris, se décidaient avec peine à prendre des attitudes passives si nouvelles pour eux. Officiers et sous-officiers s’employaient à faire taire des ripostes qui permettaient à l’ennemi de repérer son tir sur la lueur des coups de feu. « Ça y est ! nous sommes entourés et dominés ! Et il n’est pas trois