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magnificence. Le triste bronze y ternira l’émail riant des fleurs... » L’écrivain doit reconnaître que, même en ces lieux artificiels, la nature sait se libérer : « Cependant, dans quelques coins oubliés, la nature encore hasardera d’user de ses droits à la liberté ; et s’il arrive que ces arbres tourmentés par le fer et le niveau vieillissent, ils acquerront, en dépit de leurs tyrans, des proportions grandes, nobles et robustes. Alors, parvenus à élever leurs cimes au-dessus de la portée des échelles et des croissans, ils reprendront les traits de cette beauté majestueuse et pittoresque qui appelle et fixe les regards. C’est alors que de larges allées, devenues de superbes galeries, formeront leur voûte au sommet des airs. Les branchages étendus sans gêne s’approcheront à leur gré, s’entrelaceront sans contrainte, et se feront justement admirer par des effets que l’art ne peut imiter. » Ne voit-on pas que c’est la description même du noble aspect qu’offrait, aux abords de Versailles et du Grand-Trianon, l’ensemble des plantations de Le Nôtre ?

Elles n’avaient jamais été plus belles qu’à l’heure où on les condamnait à disparaître. Le duc de Croy ne pouvait, à ce qu’il raconte, se lasser d’admirer le développement des arbres de Versailles, que dédaignaient injustement ses contemporains : « C’est là, dit-il, qu’il y a les plus hauts chênes que j’aie jamais vus, égalant pour quelques-uns le droit et la hauteur des plus hauts sapins. Leur ombrage, avec la quantité d’oiseaux, mériterait plus d’éloges qu’on n’en fait. » Et le grand seigneur, connaisseur excellent, ajoute avec quelque mélancolie : « Le goût des prairies prétendues naturelles d’Angleterre faisait qu’on prenait à tâche de blâmer ces superbes jardins qui, quoiqu’un peu monotones, sont les plus riches du monde. » Après la replantation générale ordonnée en 1775, Delille saluera encore, au second chant de ses Jardins, ce vénérable parc qu’on vient de mutiler.


Chef-d’œuvre d’un grand Roi, de Le Nôtre et des ans !


Tant de majesté, de si glorieux souvenirs, une beauté ennoblie, mais atteinte par le temps, ne pouvaient émouvoir une archiduchesse d’Autriche adonnée à son rêve de création particulière et pressée de se faire un séjour différent de tout ce qu’avaient aimé avant elle d’autres princesses. Dès le mois de juillet 1774, les lettres de Mercy nous apprennent quels sont