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parut l’Innocente, le roman russe, déjà vaguement démodé en France, jouissait en Italie d’un grand crédit. M. d’Annunzio, esprit si « livresque » et toujours si influencé par ses lectures, avait subi le prestige des Dostoïevsky et des Tolstoï. La veine de bonté qui s’épanche dans l’Intrus s’explique en partie par une lassitude des sens et un retour de l’auteur sur lui-même, mais aussi par le désir de participer au succès des romanciers russes en reproduisant leurs sentimens évangéliques. Quant à savoir laquelle de ces deux influences fut prédominante, c’est une question que nous n’approfondirons pas. Il appartient à la critique littéraire d’énoncer les données de tels problèmes : il n’est pas en son pouvoir de les trancher. M. d’Annunzio lui-même serait sans doute bien embarrassé, après vingt ans écoulés, de déterminer avec une parfaite exactitude l’état d’esprit où il composa l’Innocente.

Et parce qu’il est difficile de déterminer avec une rigoureuse justesse les sentimens qui animaient M. d’Annunzio composant l’Intrus, il me paraît fort téméraire, en même temps que peu généreux, de crier à l’insincérité de ces sentimens. C’est pourtant l’idée fixe de M. Gargiulo. Et c’est d’ailleurs le grief capital de tous les critiques d’Italie à l’égard de leur plus grand écrivain vivant : « Gabriele d’Annunzio manque de sincérité. » Je serais tenté, quant à moi, de soutenir tout le contraire. Cet auteur est un dilettante, soit ; mais non pas un imposteur. Il se donne à tous les courans nouveaux, à toutes les idées nouvelles avec un entrain aussi spontané que superficiel. Ayant « découvert » le cinquecento romain, les romanciers russes et, comme il arrivera plus tard, Nietzsche et Swinburne et Walt Whitman et Maeterlinck et tant d’autres, il lui arrive de les imiter jusqu’à paraître les copier ; mais « il y a la manière ; » et il faut convenir que celle de M. d’Annunzio n’est pas à la portée de tout le monde. J’admets qu’il y a dans l’Intrus un écho de Dostoïevsky et de Tolstoï ; mais ni l’un ni l’autre n’auraient écrit l’Intrus. Peut-être ont-ils fait aussi bien avec leurs dons spéciaux, mais M. d’Annunzio avec ses qualités propres a réalisé un chef-d’œuvre. Je dois forcément, dans l’étude que je tente ici, supposer connus les ouvrages de cet écrivain. Une analyse de chacun d’eux à propos de ce qu’en disent ses critiques et de ce que j’en crois devoir dire moi-même nous entraînerait beaucoup trop loin. Mais qui donc, ayant lu l’Intrus (et qui ne l’a point lu ?) s’aviserait de nier