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l’accent puissamment personnel de ce récit ? Et cette beauté de forme dont il tire son charme dominateur et l’intérêt dramatique de la douloureuse aventure qu’il retrace ne sont-ils pas mérites exclusifs de Gabriele d’Annunzio ? Écrivain d’une période de transition, héritier du romantisme et du naturalisme, cet homme de son temps reflète tout l’esprit de son temps. Regrettons qu’il n’ait pas eu assez de force créatrice pour fonder une nouvelle école, pour donner corps à cette chose flottante encore et confuse qui succédera en Europe au romantisme et au naturalisme ; mais ne l’accablons pas pour cela. M. Jules Lemaitre a délicieusement marqué un jour la tristesse inhérente au dilettantisme. Si certains êtres, a-t-il dit, s’introduisent avec tant d’aisance et tant de hâte dans la maison des autres, c’est parce qu’ils n’ont pas de maison à eux, et cela n’est pas drôle, M. Lemaitre a raison. C’est commettre une lourde erreur que d’attribuer à un souci mesquin de suivre la mode l’inconstance, la trépidation de pensée d’un Gabriele d’Annunzio. Il n’y faut voir que la disgrâce d’un auteur trop intelligent à qui le ciel a refusé cette force qu’il prodigue aux médiocres : des convictions stables parce qu’elles sont instinctives.

Ces perpétuels changemens d’attitude, M. Gargiulo les appelle des « voies de sortie. » Et voici ce qu’il entend par là.

Attribuant pour l’occasion à l’auteur de l’Intrus plus de préoccupations morales peut-être qu’il n’en a vraiment, le critique écrit : « M. d’Annunzio, comme individu, voulait sortir de sa nature essentiellement sensuelle et la vaincre. Et il crut pouvoir la vaincre comme artiste. Il cherchait une voie de sortie à la sensualité et se berça de l’illusion qu’il la trouverait dans la morale commune et la pitié humaine. » Au surplus, « la voie de bonté » dont il essayait dans l’Intrus ne le mena pas loin. Obéissant à diverses influences, il s’engagea ensuite dans une autre voie de sortie, diamétralement opposée : la voie de sortie de la férocité, la voie de sortie du Surhomme.

Comment M. d’Annunzio est-il devenu dans la littérature contemporaine le disciple le plus authentique et le plus brillant de Nietzsche ? Il importe de s’en rendre compte avant de passer en revue les malédictions que cette incarnation lui valut ; mais l’entreprise est assez malaisée. Ici encore, nous rencontrons des témoignages contradictoires. Fatigué de cette épithète de nietzschéen qu’on lui jetait à la face, comme un reproche, l’auteur du