Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/199

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’applaudir, quant à moi, à l’excommunication majeure fulminée par M. Gargiulo. Claudio Cantelmo et Stelio Effrena, le héros des Vierges des Rochers et le héros du Feu, ne me paraissent point en possession de la vérité absolue ; mais à des propos contestables ils mêlent des discours fort sensés. Pour leur zèle à combattre le préjugé à la mode, le préjugé démagogique, je me sens à leur endroit plein d’indulgence : « Le monde tel qu’il apparaît aujourd’hui, déclare Stelio Effrena, est un don magnifique fait par une élite à la multitude, par les esprits libres aux hommes esclaves ! » Il y a dans ces mots une vérité malheureusement si oubliée, si méconnue, quoique évidente, que j’en incline à pardonner à celui qui la proclame certaines aspirations moins saines et certains principes moins opportuns,


III

Dans toutes ses pièces de théâtre jusqu’au Martyre de saint Sébastien (1911), M. d’Annunzio se montre nietzschéen. M. Gargiulo a même intitulé le Paroxysme du Surhomme le chapitre où il étudie Gioconda (1899), Gloria (1899) et Più che l’amore (1906). Il s’emporte plus que jamais à propos de ces ouvrages : « Ces drames, écrit-il, sont la complète négation de l’art. » Je ne puis que protester à nouveau contre un verdict si sévère. J’ai tenté de montrer ailleurs les raisons pour lesquelles le théâtre de M. d’Annunzio me parait non seulement un admirable monument d’art littéraire, mais encore un vrai théâtre, avec toutes les qualités spécifiques que ce terme implique : « M. d’Annunzio, écrivais-je, excelle à déployer sur les tréteaux d’incomparables tableaux vivans. Metteur en scène sans rival, il est dans ses meilleurs momens peintre, sculpteur et architecte tout à la fois. Comme tout est combiné dans ses pièces pour obtenir un groupement heureux des principaux personnages, pour provoquer de leur part des attitudes harmonieuses, des gestes gracieux, tragiques, solennels ! Franchement, n’est-ce point là du théâtre au même titre que les substitutions, les reconnaissances, les lettres anonymes, le duel et tout le reste[1] ? » Après plusieurs années écoulées et plusieurs pièces

  1. La littérature italienne d’aujourd’hui, p. 92.