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nouvelles de M. d’Annunzio, je persiste à penser que son théâtre est du vrai théâtre et du beau théâtre. Mais je goûte diversement ses diverses pièces. Et si son chef-d’œuvre me paraît être un drame, la Figlia di Jorio, il est d’autres drames de lui que j’apprécie beaucoup moins. J’observe au demeurant que ses critiques, même les plus malveillans, ne condamnent point sans réserve Gioconda et la Figlia di Jorio : « Sauf la thèse, écrit M. Donati, la Gioconda reste la meilleure des tragédies d’annunziennes, du moins celle qui montre la plus grande habileté technique. » Et M. Donati d’avouer comme à contre-cœur que « cette singulière œuvre de poésie » ne laisse pas d’émouvoir.

Il est vrai que ces douceâtres complimens sont précédés et suivis d’aigres critiques. Je n’en veux retenir qu’une : l’accusation lancée contre M. d’Annunzio par M. Donati d’avoir dans son théâtre imité Ibsen. Et je retiens celle-là de préférence parce que je l’ai rencontrée aussi sous la plume d’autres censeurs. Mais qu’elle me paraît donc mal fondée ! Il y a dans les pièces d’Ibsen énormément de métier. Directeur de théâtre, cet auteur faisait jouer les pièces françaises alors en vogue. Scribe était un de ses auteurs favoris. Il a certainement subi son influence. Pour qui ne se laisse point égarer par la pensée d’Ibsen, nébuleuse un peu parce que Scandinave, ses pièces paraissent aussi solidement charpentées que celles de Scribe, Augier et Dumas fils.

Je louerai toute sorte de choses dans les pièces de M. d’Annunzio, mais non point leur agencement, mais non point leur structure. Et quant au fond, quelle distance entre le poète dramatique italien et le Scandinave ! Ibsen est un esprit profondément religieux, un puritain, un prédicateur qui par le du haut de la scène comme d’une chaire. Au contraire, tout principe de morale ibsénienne est absent du théâtre de M. d’Annunzio. Vraiment, il faut vouloir à tout prix assigner à ses œuvres des « sources » étrangères pour en dénoncer une dans le théâtre d’Ibsen. Les personnages de ce dernier vivent d’une vie intérieure intense. Or la vie intérieure, c’est ce qui manque le plus à ceux de M. d’Annunzio. M. Donati l’a du reste aperçu : « Le don le plus vraiment précieux du poète italien, écrit-il, est celui de la vie extérieure. » Et c’est une remarque fort juste. Comme Théophile Gautier, M. d’Annunzio pourrait dire : « Je suis un homme pour qui le monde existe. » Mais qui ne voit à quel