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point ce caractère de l’art de M. d’Annunzio est diamétralement opposé à la manière d’un Henrik Ibsen ?

Loin d’avoir pris pour modèle les Scandinaves, M. d’Annunzio s’est toujours réclamé du théâtre grec. La Città morta, le drame où cette ambition est le plus manifeste, est aussi l’un des plus maltraités par les critiques. Il n’a pas grand’chose de grec, j’y consens, sauf le décor. Et le projet caressé par M. d’Annunzio de restaurer la tragédie ancienne est évidemment chimérique ; mais jusqu’à quel point l’a-t-il lui-même sérieusement conçu ? Le sujet de la Città morta, l’aventure d’un brave homme d’archéologue devenant criminel au contact des criminels héroïques dont il remue les cendres, ne manque du reste pas de grandeur.

J’aime beaucoup moins le drame intitulé Gloria. Avouons franchement que c’est un ouvrage manqué. Il résume, a-t-on dit, les expériences parlementaires du poète. Ce résumé est pitoyable. M. d’Annunzio paraît avoir traversé Montecitorio sans y rien comprendre. Et c’est grand dommage.

S’il possédait le génie de la satire et ce don qui lui manque si totalement, le sens de l’humour, Montecitorio aurait pu lui inspirer une piquante comédie. Mais il n’y a que de la phraséologie dans Gloria. Et le discours, le splendide discours de M. d’Annunzio à ses électeurs d’Ortona constitue le seul témoignage intéressant de son passage dans la politique. Il trace des tableaux mille fois plus vivans et plus vrais des mœurs anciennes que des contemporaines. Nourri de la littérature du moyen âge, fervent admirateur des énergies médiévales, il remporta au théâtre un de ses succès les moins contestés avec Francesca da Rimini (1901) ; mais sa Francesca n’est évidemment pas celle de Dante. M. Croce note justement que « la conscience du péché » pénètre dans la Divine Comédie tout l’épisode de Francesca et Paolo. Quelle délicatesse, quelle noblesse, quelle pudeur dans les aveux de la femme coupable et damnée ! Mais comme on sent qu’elle aime encore, malgré le supplice dont elle paye son amour ! Quelle passion prête à s’épancher dans ses discours pourtant pleins de réserve ! De cet épisode M. d’Annunzio a tiré selon sa propre expression et conformément à sa nature « un poème de sang et de luxure. » On peut préférer, — il faut préférer l’immortel cinquième chant de l’Enfer, mais le poème dramatique de M. d’Annunzio est, dans son genre, plein de