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et l’apprécier beaucoup avant son entrée au Sacré-Cœur, mais il est certain que, depuis sa vocation, notre union est devenue beaucoup plus intime et mon affection pour elle beaucoup plus tendre et plus expansive. Voilà une grâce que vous saurez comprendre et dont vous remercierez Dieu pour moi et avec moi.

Mon voyage d’Espagne, écourté par le choléra et par la mauvaise saison, ne m’en a pas moins extrêmement intéressé. J’y allais chercher des impressions et des souvenirs monastiques pour la suite de mon laborieux travail, et j’ai été plus que satisfait de tout ce que j’y ai vu en fait de monumens et même d’hommes, — bien que le pays soit dans un triste état, ce qui donne le plus cruel démenti à toutes les théories qui ont cours aujourd’hui chez les catholiques contre la liberté. Car c’est depuis le triomphe du catholicisme exclusif en Espagne, depuis l’expulsion des Maures et des Juifs et grâce aux entraves, aux bâillons et aux bûchers de l’Inquisition, que ce grand peuple, naguère le premier des peuples chrétiens, est tombé dans la décrépitude et le néant.

Depuis mon retour ici, au lendemain des vœux de Catherine, j’ai été constamment souffrant, ce qui m’a empêché de vous écrire aussitôt que je l’aurais dû et voulu. Vous me pardonnerez, j’en suis sûr, ce retard très involontaire, et vous ne m’en punirez pas en me faisant attendre une nouvelle lettre de vous. Dans cette si longue et si intéressante que je viens de relire, il y a un passage qui m’a extrêmement surpris et affligé : c’est celui où vous m’indiquez par un mot que vous avez déploré la victoire du Nord aux États-Unis. Je vous aurais pardonné l’ignorance ou l’indifférence, je ne vous pardonne pas d’être du mauvais côté dans une question si grande et si vitale ! Croyez bien que ce n’est pas l’amour-propre d’auteur qui m’irrite en ce moment ; je conçois très bien que mes argumens et mes démonstrations ne vous aient pas convaincue ; mais comment vous, honnête femme, noble de cœur encore plus que de naissance, mère de famille chrétienne, comment osez-vous être du côté de l’esclavage ! Comment n’avez-vous pas horreur de tout ce qui se rattache directement ou indirectement à une institution abominable, qui, en dehors même de toute autre considération politique ou sociale, autorise des hommes à vendre, à exploiter, à flageller leurs semblables, livre sans défense à tous les caprices de la débauche des milliers de