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nettement libéral, sinon comme opposant, il redouta quelque temps d’être rayé d’autorité de la liste des candidats. Bien au contraire, il fut reçu premier en 1863, et affecté à la section du contentieux, dont la large impartialité le surprit agréablement, dont les travaux le captivèrent. Pour ne point s’en détourner, il déclina l’offre infiniment flatteuse et tentante de Frédéric Le Play, alors conseiller d’État, qui lui proposait de participer sous sa direction à la préparation de l’Exposition universelle de 1867. Plus tard, en 1872, Paul Thureau-Dangin devait consacrer deux articles, d’une dialectique très serrée, à défendre la juridiction administrative et l’existence même du Conseil d’État, menacées par le représentant Raudot. En même temps qu’il soutenait ainsi une opinion fondée sur l’expérience, il payait une dette de gratitude : c’est en effet au cours de son auditorat qu’il acquit ou qu’il perfectionna cette maîtrise de discussion qui s’imposait plus tard dans les comités de rédaction, les réunions charitables, et surtout au Conseil d’administration de la célèbre Compagnie des manufactures de glaces et produits chimiques de Saint-Gobain, dont il fut actionnaire délégué dès 1876, administrateur en 1890, vice-président à partir de 1900. Ennemi déterminé du bavardage et de la prolixité, il ne se prodiguait point à tout propos, mais il excellait, quand le sujet lui semblait en valoir la peine, à intervenir dans une discussion pour la mettre au point, pour formuler le problème qui s’en dégageait, pour préconiser une solution : il s’expliquait sans aucune affectation d’éloquence ou de bel esprit, sur le ton de la causerie, d’une voix dont le timbre était plutôt voilé, mais avec tant de précision dans les termes, tant de lucidité dans la pensée, tant d’autorité dans l’accent, que le silence se faisait général, puis l’adhésion unanime, et que presque toujours ses propositions prévalaient comme l’expression même du parti le plus sage et le plus avisé.

Les cinq années cependant s’étaient écoulées, au delà desquelles Paul Thureau-Dangin ne pouvait réglementairement demeurer auditeur. Si ses collègues et ses chefs appréciaient le mérite de sa collaboration, il lui manquait les hauts patronages officiels, qui seuls auraient pu assurer sa promotion aux fonctions de maître des requêtes. Très attaché au travail du Conseil d’État, déçu de ce qu’il considérait à juste titre comme un passe-droit, il déclina les postes administratifs ou judiciaires