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Il passa chez le cousin Desmonds toute l’année suivante et ne revint qu’au début de 1789 à Paris, « cette ville où l’air est perpétuellement remué. « Il y recommença de vivre sans beaucoup de suite et sans bonheur.

Le 26 avril 1790, il perdit son père. Je ne sais pas le chagrin qu’il éprouva de cette mort. Il n’y a presque rien de l’année 1790 sur ses carnets.

Je le crois désemparé. Quand sa mère l’appellera, il viendra. Mme Joubert ne désirait que de l’avoir auprès d’elle, à Montignac. Elle le considérait toujours comme un enfant et rêvait de veiller sur lui. Mais, à Montignac, que ferait-il ? et quelle position, digne de lui, de ses talens, lui procurer ? Tout parut s’arranger le mieux du monde, quand l’Assemblée constituante organisa les justices de paix.

Pour accepter de n’être que juge de paix à Montignac, Joubert n’a-t-il pas relâché beaucoup de son ambition ? Peut-être ; et ainsi nous enseigne la vie à nous borner. Mais aussi ne méconnaissons pas la singulière importance qu’on attribua, en 1790, à l’institution de cette magistrature nouvelle. Ce fut un bel enthousiasme et qu’attendrissait une sorte de sentimentalité politique et philosophique.

L’idée est de ce Thouret, qui eut de moins bonnes idées et qui, par exemple, substituant aux vivantes provinces les départemens administratifs, contribua grandement à défigurer l’ancienne France. Il exposa fort bien son projet, fit un tableau de la vie paysanne et de ses chamailleries quotidiennes, « qui ne peuvent être jugées que par l’homme des champs, lequel vérifie sur le lieu même l’objet du litige et trouve dans son expérience des règles et des décisions plus sûres que la science des formes et des lois n’en peut fournir aux tribunaux. » Il ajoutait, dépassant comme un orateur sa pensée : « L’agriculture sera désormais plus honorée, le séjour des champs plus recherché, les campagnes seront peuplées d’hommes de mérite dans tous les genres ! » Ce fut, dans l’assemblée, un enchantement. Un député s’écria : « C’est un père au milieu de ses enfans ; il dit un mot, et les injustices se réparent, les divisions s’éteignent, les plaintes cessent ; ses soins constans assurent le bon- heur de tous : voilà, le juge de paix[1] ! » Prugnon déclara que

  1. Cité dans le Code de la Justice de paix, de l’imprimerie de P. Fr. Didot le jeune. Paris, 1790.