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le nom seul de ces juges « avait droit d’intéresser » et que « ce mot faisait du bien au cœur[1]. » Le 7 juillet, l’on vota et les juges de paix eurent pour eux l’unanimité des législateurs.

Ils eurent pour eux l’opinion publique : la promesse d’une justice prompte, familière, peu onéreuse et qui enfin ne grossît pas jusqu’au torrent de la ruine le filet d’eau d’une bisbille, une telle promesse avait de quoi se faire des amis. En outre, on multiplia, autour de la nouvelle magistrature, ces phrases qui étaient à la mode du jour. Le 16 janvier 1791, quand, sur la place de l’Hôtel-de-Ville, en présence du peuple, Bailly reçut le serment des juges de paix parisiens, il leur dit : « Messieurs, la confiance de vos concitoyens vous appelle à des fonctions augustes et paternelles. Magistrats du peuple, vous serez toujours près de lui pour l’éclairer et le guider ; vous serez toujours présens, pour ainsi dire, à l’origine de toutes les divisions ; vous entendrez la discussion des premiers intérêts, lorsqu’ils seront encore simples et faciles à éclaircir, avant que les préventions soient établies et que les haines soient nées. Ministres de la paix au milieu de vos frères, vous allez donc resserrer tous les liens ; en conservant l’union des familles, vous servirez les mœurs et, en établissant la paix particulière, vous préparerez la paix publique[2]. »

Voilà présenter les choses joliment et sous les plus engageans dehors. Si l’on avait dit aux juges de paix la sèche vérité : — Vous jugerez, dans votre canton, les affaires les plus petites et qui ne valent pas la peine de déranger les tribunaux ; vous aurez pour cela un traitement annuel de six cents livres, et voilà tout, — l’on n’eût point excité le zèle de ces modestes magistrats. Puis, en disant la sèche vérité, l’on n’eût pas été sincère : telles sont les exigences de l’emphase, qui est une infirmité plutôt qu’un mensonge.

Joubert n’était pas emphatique ; et je doute que l’ait dupé cette rhétorique loyale. Cependant l’idée de Thouret, que le commentaire public embellissait, put le séduire ou, du moins, le disposer favorablement. A Montignac, dans la famille Joubert, ce dut être beaucoup mieux encore, on le devine.

  1. Cf. Edmond Seligman, la Justice en France pendant la Révolution, t. I (Paris, 1901), p. 286 et 302.
  2. Cité par Paul Robiquet, le Personnel municipal de Paris pendant la Révolution. Paris, 1890, p. 438.