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Dans la foule et, croyons-le, aux premières places, il y a les sœurs, frères et cousins de M. Joubert, toute la parenté, Jean Boyer, Warwick de maire et de juge de paix, qui triomphe avec le grand homme qu’il a imposé, et Mme Joubert, la maman du grand homme : elle triomphe aussi, avec timidité, non sans crainte. Il y a, dans cette cérémonie, de quoi l’émouvoir, quand elle va entendre son fils, et de quoi la déconcerter, quand son fils, qui n’est pas entré dans les ordres, va parler à l’église. C’est une singulière idée qu’on a eue de placer à l’église paroissiale cette cérémonie civique. Ce n’est pas encore une idée impie : on a soin d’attendre la fin des vêpres. C’est déjà une idée assez désinvolte, qui emprunte, pour le civisme, l’édifice religieux, et. qui s’habitue ainsi ou se prépare à l’usurper.

En l’honneur, de Grangier dit Barbefine et de Cailloud dit Lachenau, M. Joubert lut un charmant discours[1]. Il est fort long ; je n’en puis donner ici que des passages. « Jean Grangier et Pierre Cailloud, c’est pour vous qu’on s’est assemblé. C’est pour vous seuls que tant de pompe est étalée à tous les yeux. C’est pour vous qu’on a pris ces armes, qu’on a levé ces étendarts, que nos magistrats ont marché, qu’ils ont déployé leurs échappes, que le public s’est empressé, qu’on est accouru dans ce temple où nous sommes tous devant Dieu ; et c’est pour vous seuls que ma voix se fait entendre en ce moment... Apprenez, qui que vous soyez, vous tous présens à cette fête, que les lois nouvelles sont justes, que la patrie est libérale, que l’autorité populaire est favorable à la vertu ; et ne tardez plus à aimer les trois pouvoirs qui nous gouvernent, en voyant deux pauvres pêcheurs qu’on honore à l’égal des rois... »

Voilà l’exorde. En le recopiant, quelques années plus tard, Joubert ajouta cette note amusante, et qui caractérise le judicieux changement de ses opinions. C’est à propos des trois pouvoirs : « On disoit alors la nation, la loi, le roi ; c’étoit le délire du temps : même celui de quelques sages. Les autres n’en sont pas guéris. ».

Puis Joubert invoquait l’enfant du sauvetage : « Paroissez, enfant fortuné, vous qui n’en étiez pas connu (de Grangier ni

  1. J’en ai retrouvé, plusieurs brouillons et une rédaction que Joubert refit plus tard. (Archives de Mme Henri de Lander.) Les brouillons portent les dates du 19 et du 29 avril, du 28 mai et prouvent ainsi que Joubert s’était mis à la besogne dès avant la délibération du conseil général.