Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/395

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mlle Moreau perd en peu de temps un frère, une amie ; Joubert lui adresse, deux fois la semaine, de douces et pénétrantes lettres consolatives. Dans ces lettres, on lit : « J’ai de grandes occupations et de grands devoirs. Il me reste si peu de temps qu’il ne m’est pas même possible de me souvenir de vous à mon aise... » Et puis, du 3 août 1791 : « Les événemens, qui ont donné partout beaucoup d’occupation aux hommes publics, ne leur ont pas permis de se livrer entièrement et avec assiduité à leurs affections privées. J’ai éprouvé plus qu’un autre cette contrariété et, dans les premiers momens de votre perte, je n’ai pas pu m’affliger aussi parfaitement que je l’aurois voulu... »

Dans l’exercice d’une magistrature modeste, il avait conscience d’être un homme public, non pour en tirer vanité, mais pour accomplir un devoir.


Les derniers temps qu’il passa à Montignac, il se mêla d’une aventure assez comique, assez petite, importante pour la commune et qui, sur les bords de la Vézère, excita grandement les passions. Il y avait rivalité entre Montignac et Terrasson, gros bourg bâti en terrasse et où, dit Latapie, on avait l’humeur vive et satirique.

Le 23 août 1790, l’Assemblée constituante désigna les localités où siégeraient les tribunaux de chaque district. Et Montignac était le siège du district, mais Terrasson fut choisi comme siège du tribunal. C’était un honneur, et aussi un avantage matériel, par la fréquente et profitable venue des plaideurs. Montignac fut blessé, courroucé même. Or, le district était composé de sept cantons ; et Terrasson se trouvait à l’extrémité du district. Montignac organisa une intrigue et insista, auprès des cantons, sur la difficulté qui résultait pour eux de la situation mal commode de Terrasson. Six cantons, tous excepté Terrasson, quarante-huit paroisses contre douze, adressèrent à leurs députés une pétition tendant à ce que le tribunal fût transporté à Montignac. Les députés considérèrent que « cette expression du vœu public » devait être transmise à l’Assemblée nationale. Le Comité de constitution répondit qu’il fallait en référer aux administrateurs du Département. Ceux-ci refusèrent d’aller dans le sens qu’indiquaient les députés ; et Terrasson fut ainsi consacré dans son privilège : il installa son tribunal, Montignac se