Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/402

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grandes obligations. En les remplissant, tu éprouveras des sensations bien délicieuses qui te récompenseront. L’homme vertueux qui fait le bien goûte une satisfaction douce, voluptueuse. Chaque citoyen, en te donnant son suffrage, s’est dit : Mérilhou calmera nos différends, il apportera la paix dans nos ménages, il garantira nos propriétés et la justice nous sera rendue par l’organe d’un ami[1]… » Etc., etc. Il y en a long : ces orateurs révolutionnaires n’épargnent pas les mots, ni les phrases. Desmons ne dit rien de Joubert. Évidemment, Joubert n’était pas à la hauteur de la journée du dix. Sans doute ne le regrettait-on pas. Et lui ne regrettait rien. La pauvre Mme Joubert elle-même dut approuver, malgré son chagrin, que son fils s’en allât.

Avant de s’en aller, Joubert rendit à sa ville natale un dernier service, en lui faisant donner les tribunaux. Je crois même qu’après l’élection de Mérilhou, il n’ajourna que pour cela son départ.

Il avait vu la Révolution. Et, plus tard, il écrira : « Les révolutions sont des temps où le pauvre n’est pas sûr de sa probité, le riche de sa fortune et l’innocent de sa vie. » Il revint à Paris. Il assista au procès de Louis XVI. Et, plus tard, il écrira : « La Révolution a chassé mon esprit du monde réel en me le rendant trop horrible. » Peu à peu, il se composera un univers de sentimens et d’idées, ou il s’enfermera, où il oubliera volontairement les démentis qu’inflige au rêve et à l’espérance la brutale vérité ; il organisera, pour son plaisir anodin, des systèmes de pensée, de mélancolie et de toute fantaisie mentale, qu’il abritera soigneusement contre la vie et ses risibles héros.


ANDRE BEAUNIER.

  1. Registres de la municipalité (mairie de Montignac).