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II

« Que le conte ou la nouvelle est de meilleur goût (que le roman) ! Que c’est un moyen plus délicat, plus discret et plus sûr de plaire aux gens d’esprit, dont la vie est occupée et qui savent le prix des heures ! La première politesse de l’écrivain, n’est-ce point d’être bref ? La nouvelle suffit à tout. On y peut renfermer beaucoup de sens en peu de mots. Une nouvelle bien faite est le régal des connaisseurs et le contentement des difficiles. C’est l’élixir et la quintessence, c’est l’onguent précieux[1]... » C’est M. France qui parle ainsi ; car, pour ma part, je pense précisément le contraire. J’apprécie, certes, à leur prix, le conte ou la nouvelle, et j’en veux à tous les romanciers, — et ils sont nombreux ! — qui nous racontent en trois cents pages ce qui pourrait tenir en vingt. Mais je ne puis admettre que « la nouvelle suffise à tout. » Il y a des sujets de nouvelles comme il y a des sujets de romans, et il y a des talens ou des génies de novellistes comme il y a des génies ou des talens de romanciers ; et il ne faut pas hésiter à dire qu’il y a entre les deux « genres » non seulement une différence de nature, mais une différence de degré. Il n’est pas vrai, comme l’a dit étourdîment Boileau, que


Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème ;


et le meilleur sonnet de Ronsard ou de Heredia ne vaudra jamais Jocelyn ou la Divine Comédie. Pareillement, et quoi qu’en dise M. France, — car il a soutenu ce paradoxe, — si Balzac, qui fut un novelliste de génie, n’avait écrit que des nouvelles, il ne serait pas Balzac, et je suis de ceux qui donneraient pour Pierre et Jean, peut-être même pour Une vie, plusieurs volumes des nouvelles de Maupassant. Mais il est curieux, il est intéressant d’entendre un écrivain, qui a été, presque de tout temps, romancier et novelliste tout ensemble, nous manifester sa préférence secrète, intime pour le plus « discret », le plus modeste, — et le plus accessible, — des deux genres.

Cette préférence nous est-elle un signe et une preuve involontaire

  1. Vie littéraire, t. IV, p. 319, 320.