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que l’auteur du Lys rouge a mieux réussi dans la nouvelle que dans le roman ? Il serait un peu prématuré de trancher dès maintenant la question. Ce que l’on peut dire, en comparant, même superficiellement, les recueils de contes aux romans qu’il a donnés avant l’Histoire contemporaine, c’est que M. France a dû sentir de très bonne heure[1] que le genre de la nouvelle, beaucoup mieux que le genre du roman, lui permettait de dérober aux regards les imperfections ou les lacunes de son propre talent. Une certaine monotonie de pensée, de style et de ton, une relative indigence d’invention créatrice, une singulière insouciance de la composition, si ce sont bien là les principaux défauts de son art, ils se dissimulent le plus souvent dans le cadre étroit de la nouvelle, lequel d’ailleurs est assez bien adapté à sa légendaire « paresse ». Ajoutons que le conte ou la nouvelle, infiniment mieux que le roman, se prêtent au travail minutieux du style et doivent attirer davantage un écrivain qui, comme M. France, est né « miniaturiste » bien plutôt qu’artiste à fresque. Et si l’on songe enfin que certaines de ses qualités ou des tendances qui lui sont le plus familières, l’ironie, la fantaisie, la disposition philosophique trouvent plus aisément leur emploi dans les contes que dans tout autre genre littéraire, on s’expliquera peut-être la secrète sympathie de l’historien de Jérôme Coignard pour cette libre et souple forme d’art.

Les contes ou nouvelles qui composent les trois recueils intitulés : Balthazar (1889), l’Étui de nacre (1892), le Puits de Sainte-Claire (1893), n’ont pas tous égale valeur ; si M. Anatole France avait compté sur le Réséda du curé et sur le Joyeux Buffalmacco pour passer à la postérité, il se serait, je crois, bien trompé. Constatons aussi, comme pour les chroniques de la Vie littéraire, que tous ces contes gagnent beaucoup plus à être lus isolément qu’à être rapprochés les uns des autres : en dépit de la variété apparente des sujets, la répétition des mêmes procédés de style, des mêmes motifs d’inspiration devient vite un peu fatigante. Et enfin, même quand on ne reconnaît pas les multiples sources livresques auxquelles l’auteur a puisé pour composer ses divers récits, on les sent qui affleurent, ces sources ; et sans méconnaître le droit qu’ont tous les vrais écrivains, — un Molière comme

  1. D’après M. G. Michaut, le premier conte de M. France serait le Cas du Dr Hardrel dans la Jeune France du 1er novembre 1878.