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y apparaissent tout de suite : la coupe étroite de la phrase, la fréquence et presque la périodicité des points d’orgue, l’alternance et le chatoiement des deux modes, majeur et mineur. Dès le second épisode, il est possible de voir ou plutôt d’entendre approcher la mélodie naissante. Incertaine et timide encore, mais déjà chantante, elle s’annonce, elle se dégage des accords. Très brève d’ailleurs, au bout de quelques mesures, une invariable cadence l’achève. Suit alors un tempo plus vif, en valeurs pointées, et rien que dans cette succession, nous reconnaissons comme une esquisse de l’ « ouverture » à plusieurs mouvemens. Dures, sommaires, sont encore les modulations ; déjà pourtant, soit au sommet, soit à la base du chant, une ligne se développe lentement, une ligne de notes tenues et régulières, comme celles d’un canto-fermo. L’ensemble nous prépare de loin, oh ! de très loin toujours, à ces polyphonies de Sébastien Bach où le thème d’un choral viendra s’adjoindre, tantôt pour les dominer, tantôt pour les soutenir.

Le chœur initial est une invocation, une acclamation universelle. En voici les premières paroles, qui feraient presque penser, plus de deux siècles et demi d’avance, au prologue du Mefistofele d’Arrigo Boito :


 O signor santo e vero,
Che del mondo hai l’impero,
O Signor santo e forte,
Domator della morte,
Donator della vita.


La musique s’adapte avec précision, avec un peu de rigueur même, à la métrique de ces petits vers. Sur les deux derniers, elle s’élargit et se renforce, pour donner à la double apostrophe : « Dompteur de la mort. Donateur de la vie, » une expression de plénitude et de magnificence. De temps en temps, une variante rythmique, un passage à 6/8, assouplit un peu la mesure et l’anime. Bientôt une voix seule, impersonnelle aussi, prend la parole. Oui vraiment, elle parle au moins autant qu’elle chante. Elle dit la fuite du temps et, rappelant à l’homme ses fins dernières, la mort, le jugement, elle l’exhorte à faire, dès la vie présente, le choix qui décidera de son éternel bonheur. Toute l’homélie est grave, froide, pour ne pas dire quelque chose de plus. Des mots comme ceux-ci : « La vie n’est qu’un souffle, » provoquent seulement, à l’orchestre, de petits traits ingénus de musique imitative. Mais voici que le chœur reprend la même remontrance, et l’effet n’en est plus le même. A ces vérités austères, la frêle polyphonie donne je ne sais quelle tristesse attirante. Incertaines