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entre les modes majeur et mineur, entre les mesures à trois et à quatre temps, la douceur, le charme subtil des voix s’accroît de leur incertitude. Après une homélie, nous avons une méditation. La musique s’ouvre et nous ouvre ici le royaume de l’âme.

« Anima e corpo, l’âme et le corps. » Vous rappelez-vous, sous le même titre, ce dialogue, tout différent, d’Henri Heine :

« La pauvre âme dit au corps : « Je ne te quitte pas, je reste avec toi ; avec toi, je veux m’abimer dans la nuit et dans la mort, avec toi, boire le néant. Tu as toujours été mon second moi, tu m’enveloppais amoureusement, comme un vêtement de satin doucement doublé d’hermine. Hélas ! Il faut maintenant que toute nue, toute dépouillée de mon cher corps, chose purement abstraite, je m’en aille errer là-haut, comme un rien bienheureux, dans les royaumes de la lumière, dans les froids espaces du ciel, où les éternités silencieuses me regardent en bâillant. Elles se traînent là, pleines d’ennui, et font un claquement insipide avec leurs pantoufles de plomb. Oh ! cela est effroyable. Oh ! reste, reste avec moi, mon corps bien-aimé. »

« Le corps dit à la pauvre âme : « Console-toi, ne t’afflige pas ainsi. Nous devons supporter en paix le sort que nous fait le destin. J’étais la mèche de la lampe, il faut bien que je me consume. Toi, l’esprit, tu seras choisi là-haut pour briller, jolie petite étoile, de la clarté la plus pure. Je ne suis qu’une guenille, moi ; je ne suis que matière. Vaine fusée, il faut que je m’évanouisse et que je redevienne ce que j’ai été, un peu de cendre. Adieu donc, et console-toi. Peut-être d’ailleurs s’amuse-t-on dans le ciel beaucoup plus que tu ne penses. Si tu rencontres le grand Béer dans la voûte des astres, salue-le mille fois de ma part[1]. »

La plainte est navrante, avec un arrière-goût d’ironie et d’impiété. Que ne pouvons-nous faire entendre, après elle, en même temps que les paroles, la musique du premier duetto de Cavalieri ! En voici le commencement ;


Anima mia, che pensi ?
Perche dogliosa stai,
Traendo sempre guai ?


« Mon âme, que penses-tu ? Pourquoi es-tu affligée, exhalant sans fin tes soupirs ? « On dirait presque les paroles du prêtre s’approchant de l’autel du Seigneur : « Quare tristis es, anima mea, et quare coniurbas

  1. Calembour intraduisible. Heine joue sur le mot Bär : en allemand, ours, Grande Ourse, et syllabe finale du nom de Meyerbeer.