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de la rivière rapide. En passant, l’eau fuyante jette sa phrase toute brève, la redouble, la répète encore et son murmure court les siècles. C’est le plus doux glissement, divin par son mystère et par sa pureté. O nymphe, ô jeunesse constante de la vieille rivière, ô divinité !

Qui puis-je remercier ? Où vais-je porter les sentimens qui m’émeuvent ? Je ne dois pas admettre qu’ils se défassent comme l’eau et les nuages. Derrière le voile splendidement peint qui se déroule, je distingue que c’est toujours le même ordre qui subsiste. Au bord de cet écoulement universel, j’aspire à dresser une affirmation de stabilité et d’identité.

Thème inépuisable de la chapelle sur la rive ! Je n’aime rien tant que cette méditation pétrifiée sur le bord de cette eau qui s’enfuit, tandis que l’air fraîchit et que retentissent l’appel et les trilles de l’oiseau éternel dans les saules. C’est ici le lieu sûr où nous déposons pour les sauver nos sentimens les meilleurs, et ceux que cette voûte ne peut pas recueillir, qu’ils aillent au fil de la rivière et se perdent.


I
UNE DÉSOLATION PRÉPARÉE PAR LA LOI


Janvier 1907.

Cette semaine, vingt fois, j’ai ouvert, parcouru le rapport que vient de nous donner la Commission du budget : l’inventaire des meubles les plus précieux qui garnissent nos édifices religieux. Les ennemis du catholicisme paraissent s’inquiéter du désastre d’art qu’ils ont organisé, et M. Couyba nous énumère les vitraux, toiles, statues, chasubles, reliquaires, etc. etc. dignes, à son goût, d’être sauvés.

La liste est fort incomplète pour les régions que je connais. Bien que la France soit le pays le plus dévasté de l’Europe, on y trouve beaucoup plus de fragmens précieux que l’honorable rapporteur n’en dénombre. Il en convient, il va poursuivre son inventaire : il s’engage à classer, « avant le 11 décembre 1908, terme du délai fixé par la loi de séparation, » tous les objets mobiliers qui, dans nos églises, « présentent, au point de vue de l’histoire ou de l’art, un intérêt national. » Ce sont ses propres paroles, qu’il souligne lui-même. Il nous appelle à l’aide. Faut-il le conseiller ? Dois-je lui dire : « Couyba, vous avez oublié la Notre-Dame de Grâce qui décore le portail de la chapelle, au vieux cimetière de Charmes. Elle est du quinzième, je crois, et