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charmante de vérité, d’humilité... » J’en ai quelque scrupule, car si Couyba connaît une fois cette vierge, il la mettra dans un musée, n’importe où, et plus jamais elle ne portera dans sa main la première grappe noire des vignes de chez nous. Mais, d’autre part, si Couyba l’oublie, les marchands la ramasseront et, de figure sainte, elle va devenir bibelot vénal. Tourne qui tourne, c’est destruction. Les objets que préfère Couyba seront déportés, exilés, et ceux qu’il dédaigne, vendus. Les uns comme les autres disparaîtront des lieux qui les produisirent. Je me détesterais de collaborer à cette œuvre de mort.

On a pris, pour dresser cette double liste sinistre, un chansonnier radical ; il eût fallu un poète tragique français. Il fallait faire sonner toutes les cloches des trépassés... Je les entends, et mon esprit indigné s’élève, tournoie, s’oriente et s’enfuit d’instinct, comme vers un refuge, vers le pays de ses vénérations, sur la terre où furent construites toutes les pensées qui m’animent.


Quel vol rapide, celui de l’imagination ! Me voici à 400 kilomètres de Paris, dans un canton vosgien recouvert de neige, et parmi des solitudes séparées de la Moselle par les collines où s’appuieront nos artilleurs dans la prochaine guerre. Là, Gugney dort au bas d’un coteau, parmi de verdoyans vergers où repose tout l’ennui des villages lorrains. Et son éloignement des grandes voies explique qu’il subsiste dans cette retraite un trésor d’art antérieur aux ravages des soldats de Richelieu. J’admire Couyba de connaître Gugney-aux-Aulx, car j’avoue que j’y suis venu, pour la première fois, en septembre dernier.

Septembre, c’est le mois où les femmes agenouillées trient les pommes de terre dans les champs ; leurs coiffes les abritent des derniers rayons de l’année ; les hommes sèment les labours, et déjà les marteaux retentissent sur les cuves de la vendange. Par cette fin d’un après-midi déjà court, je fus surpris, jusqu’à l’émotion, de découvrir, dans la pauvre église, les débris d’un vitrail précieux du XVIe siècle, puis quatre colonnes Renaissance sculptées et brodées avec une divine fantaisie païenne, puis de savans bas-reliefs donnant les scènes de la Passion, et enfin, auprès de ce décor d’une allure aristocratique, neuf statues en pierre, du XVe, du XVIe et du XVIIe siècle. (La plus ancienne est