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Donc il causa, de sa voix souple et dure, le corps lassé et le regard effroyablement positif. Il me raconta de la manière la plus intéressante la séparation, ses origines, les fautes des autres, ses propres efforts, et plusieurs actes d’ingratitude commis à droite et à gauche.

— Je plains sincèrement de très honnêtes gens, me disait-il, tous ces catholiques qui, je le sais, sont désolés de n’avoir pas eu la permission de fonder des cultuelles, d’administrer leurs intérêts respectables et d’entretenir ces églises qui vous préoccupent si justement, monsieur Barrès. Mais à qui la faute ? C’est à Rome que doivent s’adresser vos reproches, et non pas ici, convenez-en.

Je ne conviens de rien du tout, et j’aurais bien envie, au coin de ce bon feu, de raconter à mon tour des histoires. Il y a des années, je dînais quelquefois à une table amie avec M. Renan. Il se plaisait à prophétiser que l’Église de France périrait par le schisme, et d’ailleurs en montrait de la satisfaction. Anatole France a précieusement gardé la leçon de notre vieux maître. « Après la séparation, écrit-il, l’État ne s’emploiera plus à faire le discernement des évêques orthodoxes et des évêques hétérodoxes, et les fidèles se partageront entre les uns et les autres… : On verra s’établir une multitude de sectes rivales. L’unité d’obédience sera brisée[1]… » Il y a là une tradition qui justifie amplement à mes yeux la méfiance des catholiques… Mais ce n’est pas pour faire de la philosophie historique que je suis venu place Beauvau, et je réplique :

— Enfin, monsieur le ministre, nos églises tombent ou vont tomber en ruines. Comment parer à ce désastre ? Qu’est-ce que vous allez faire pour les empêcher de mourir ?

Il eut un geste un peu las du bras et de l’épaule gauches, un geste pour me ramener à un bienfaisant optimisme et au juste sentiment des choses.

— Mais non, monsieur Barrès, vos craintes, laissez-moi vous le dire, sont excessives et injustifiées, les églises ne tombent pas.

— C’est une question de fait, et les faits ne me donnent que trop raison… En tout cas, elles tomberont par le simple jeu de la loi. Vous le contestez, monsieur le ministre ? Cela résulte

  1. Anatole France, l’Église et la République, p. 113, chez l’éditeur Pelletan.