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voilà que tous ses mérites se trouvent remis en question. Si par hasard il n’était pas le continuateur de François Ier et de Napoléon ! « Du sublime au ridicule, disait ce dernier, il n’y a qu’un pas. » Évidemment, il s’imagine que je vais le faire remarquer et que, sous couleur de défendre les églises, je n’ai qu’un but : démontrer à la Chambre que sa loi ne tient pas debout, que son chef-d’œuvre est inexistant et qu’il avait tout prévu, comme dit Clemenceau, hormis ce qui est arrivé… Et voilà pourquoi tout de suite il fait front.

Qu’il comprend mal mes intentions ! Je ne l’aurais pas cru si peu perspicace. À la tribune, il n’a pas son pareil. Il possède à un degré extraordinaire la faculté de saisir les impressions d’une foule ; il n’est pas seulement de ces orateurs qui comprennent immédiatement l’effet de leurs paroles, qui voient celui-ci bâiller, cet autre ricaner, ce troisième se pencher vers l’oreille de son voisin, et qui distinguent ce qui porte ou échoue ; il ne se borne pas à enregistrer : il utilise sur l’instant ses observations. C’est trop peu dire qu’il sent son auditoire, il le pressent, il en devine les mouvemens avant qu’ils soient formés, et véritablement, de ses deux mains toujours tendues devant lui, il semble saisir, façonner, modeler à sa guise l’assemblée. C’est son génie. Sur l’heure, il retire un argument qui n’a pas plu, il fortifie une note bien accueillie. Le public est sous sa parole une glaise qu’il pétrit. Quel artiste ! disais-je un jour. Quel bonneteur ! disais-je encore. De parole facile, de voix très agréable, de geste enlaçant et de ton conciliant, il crée la persuasion. C’est du très joli travail. Mais, dame ! hors de la tribune, il redevient comme tout le monde, il ne sait plus au juste à qui il a affaire. C’est un cavalier qui a perdu son cheval ; le centaure devient bipède. Il se traîne, il tâtonne. Son génie a perdu ses antennes. Dans ce cabinet, il ne voit rien du tout à ma préoccupation. Voilà-t-il pas qu’il s’imagine que je collabore à quelque intrigue contre son ministère ! Évidemment ce serait trop simple d’admettre qu’un député s’occupe des églises par amour des églises. Il est parti sur une fausse piste, il se croit attaqué et prend l’offensive.

Avec une chaude indignation, il reproche aux prêtres d’employer leur argent à entretenir des œuvres spirituelles plutôt qu’à entretenir des chefs-d’œuvre de pierre. Comme si ce n’était pas leur devoir strict ! Ils doivent d’abord courir aux âmes. Pour