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Oui, madame, je vous attendrai ici, par où je vous rends mille actions de grâce d’avoir bien voulu diriger votre route. Je m’efforcerai d’y mettre bien à profit le peu d’instans que vous daignez me promettre d’y séjourner. J’ai tant de questions à vous adresser, tant de choses à apprendre devons, peut-être quelques-unes à vous dire, puisque vous allez en Allemagne.

Il continuait en l’informant des soins qu’il prenait pour lui préparer un gîte :

Je suis descendu ici, par une vieille habitude de famille et à cause de la proximité de mon beau-frère et du spectacle, dans une ancienne auberge qui a été éclipsée dans ces dernières années par une ou deux plus modernes. C’est l’Hôtel de Pont-à-Mousson, place de Chambre. Le local n’est pas très vaste ni très beau, et Mme de Rodde avec ses enfans occupe tout le premier étage. Cependant cela n’a pas empêché d’y descendre Madame la Princesse de Saarbrück, qui est partie d’ici ce matin, et qui avait une suite assez considérable. J’aurai soin qu’il soit tenu quelques chambres vacantes vers l’époque où vous comptez y arriver, sans que cela gêne en rien vos projets ultérieurs. Je suis préoccupé, consterné, inquiet de cette résolution inattendue. Je m’en veux de n’avoir pas été plus tôt à Paris. Cela n’a pas tout à fait dépendu de moi.

Ainsi l’hôtel de Pont-à-Mousson allait abriter en même temps, sous son toit, Villers, Mme de Rodde et Mme de Staël. Metz fut sa première étape sur la route de l’exil où ses lettres à M. Necker nous permettront de l’accompagner en quelque sorte jour par jour.


III

Mme de Staël était partie de Paris le 25 octobre avec son fils Auguste, âgé de douze ans et sa fille Albertine, âgée de neuf ans. Elle avait laissé son troisième fils, Albert, alors âgé de six ans, aux soins de M. Necker. Benjamin Constant les accompagnait. « Chaque pas des chevaux me faisait mal, a-t-elle écrit dans les Dix années d’exil[1] et quand les postillons se vantaient de m’avoir menée vite, je ne pouvais m’empêcher de soupirer du triste service qu’ils me rendaient. Je fis ainsi quarante lieues sans reprendre la possession de moi-même. Enfin nous nous arrêtâmes à Châlons, et Benjamin Constant, ranimant son esprit, souleva par son étonnante conversation, au moins pendant

  1. Édition de 1904, p. 105.