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la société de Villers et de l’accueil qu’elle avait trouvé à Metz. Elle devait bientôt, du moins en ce qui concernait la société de Metz, revenir de cette première impression. La vieille capitale de l’Austrasie, ensuite Ville Impériale, était demeurée fière de son histoire, et du temps où, devenue le boulevard de la France, elle tenait tête à Charles-Quint dont elle repoussait les assauts, méritant ainsi le surnom glorieux de Metz la Pucelle que l’incapacité poussée jusqu’à la trahison devait lui faire perdre. Elle était fière aussi de ces années où, ville presque indépendante et petite république aristocratique, elle était gouvernée, sous l’autorité un peu lointaine du Roi, par un collège d’échevins qui appartenaient tous aux meilleures familles du pays, aux paraiges comme on les appelait. Le Président de ce collège, le Maître échevin était tenu par ses concitoyens en si haute estime qu’au baptême d’un enfant on souhaitait à la mère que son fils devînt « Maître échevin, ou sinon roi de France. » Ces franchises municipales avaient été détruites par la Révolution, et Metz n’était plus que la paisible capitale d’un département français dont la société se divisait, comme celle de bien d’autres villes, entre une société aristocratique, un peu fermée et boudeuse, et un petit groupe de fonctionnaires. La noblesse du cru, fidèle, au moins par le souvenir, à l’Ancien régime et qui comptait un certain nombre d’émigrés rentrés, n’avait pas vu arriver sans appréhension une femme célèbre, fille d’un ministre auquel beaucoup continuaient d’attribuer les malheurs de la Révolution. Les quelques salons de Metz hésitèrent assez longtemps à lui ouvrir leurs portes. Il fallut qu’un homme aimable et lettré, le comte Jaubert, la réunît plusieurs fois aux beaux esprits du pays. Mais l’émoi, parmi les fonctionnaires, était grand. Ils la savaient peu en faveur auprès du nouveau maître. Aussi leur causait-elle une peur terrible. On la considérait, elle-même l’écrivait, comme une pestiférée ; si le préfet, le comte Colchen, hardiment, lui rendait visite, en revanche, le président du tribunal criminel craignait d’être destitué s’il venait frapper à la porte de la demi-exilée. Et cependant, il était le propre beau-frère de Villers dont il avait épousé la sœur.

Peu devait, au reste, importer à Mme de Staël l’attitude de la noblesse et celle des fonctionnaires, bien qu’elle fût sensible à toutes les nuances et que, dans l’attitude des personnes, elle remarquât la moindre différence. Mais comment se comporterait