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dernier jour, j’ai beaucoup de choses à vous dire. Vous m’avez fait une vive peine hier[1]. »

Le lendemain, 8 novembre, Mme de Staël quittait Metz. Pour la distraire en route, Villers lui avait prêté un volume de Jean-Paul Richter. Le 9, elle lui écrivait de Forbach :

Les chemins et ma santé que tant de peines ont abîmée m’ont forcée de m’arrêter ici ; je continue ma triste route, mais je souhaite la perspective d’une lettre de vous à Francfort. J’ai commencé à lire votre Richter ; à travers mille niaiseries, il y a des mots charmans. « Ne vous raccommodez jamais avec votre ami, dit-il, qu’en pleurant et orageusement, car le froid de brouillerie pourrait rester dans la réconciliation. » Mais je n’en trouve pas moins l’extérieur allemand bien peu esthétique. Déjà ici la voix, les accens, les tournures m’annoncent que la France disparaît. Vous disparaissez avec elle, vous qui faites le traité entre nos grâces et les qualités étrangères, aimable mélange dont je ne trouverai pas de modèle au delà du Rhin. Adieu. Pourquoi ne venez-vous pas avec moi ? Rappelez-moi au souvenir de Mme de Rodde et souvenez-vous que mes sentimens pour vous peuvent changer par vous, jamais par moi[2].

Le 11 novembre, Villers lui répondait :

Votre lettre de Forbach, ravissante amie, m’a jeté dans de vives alarmes. Ah ! ménagez une santé qui est si chère à tous ceux qui tiennent à vous et parmi lesquels j’oserai me placer. Reposez-vous longtemps à Francfort et méditez-y bien le parti que vous voudrez prendre. Ce n’est qu’avec une répugnance infinie que je vous verrai vous éloigner d’une frontière que j’ai franchie avec tant de joie, il y a quelques semaines, dans l’espoir de vous trouver à Paris… Le journal de Rœderer a dit que Constant et moi nous vous accompagnions tous les deux à Berlin. C’est la première fois que, parlant de vous, j’aie souhaité qu’il ait dit vrai. Nous partons dimanche ou bien lundi. Depuis vous, j’ai dîné deux fois chez M. Colchen. Dites-moi pourquoi je m’y suis trouvé avec un sentiment de douceur inexprimable, moi qui d’ailleurs ne me soucie pas de cette maison.

Diriez-vous que je suis sous clef pour vous écrire ? obligé de me cacher, de tromper. Cette façon d’être m’indigne contre moi(même et contre l’amer ridicule de mon sort. Oserai-je vous supplier encore de m’écrire votre première lettre de Francfort, — s’il en est temps encore, — comme si vous ne m’aviez pas écrit de Forbach et que moi-même je ne vous eusse pas écrit une première lettre, c’est-à-dire sans faire mention de l’une ou de l’autre. Ne trouvez pas étrange que j’écarte de sensibles coups d’un cœur trop facile à blesser et qui ne le mérite pas.

Il continue en prenant contre Mme de Staël la défense de « son » Richter et la lettre se termine ainsi :

  1. Wittmer, op. cit. p. 182.
  2. Isler, Briefe von, etc. p. 231.