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choisir, que je les comprends et les admets à peu près toutes. Je conçois fort bien qu’un Joseph de Maistre y voie quelque chose de « satanique ; » je conçois tout aussi bien qu’un Michelet ou un Louis Blanc célèbrent 1789 ou même 1793 comme l’avènement d’une ère nouvelle ; je comprends l’indignation d’honnête homme que les ruines et les crimes du temps inspirent à Taine ; et j’admets enfin que, comme Thiers ou Mignet, Tocqueville ou Lamartine, on veuille « choisir » dans l’œuvre révolutionnaire, et ne pas tout admirer ou tout réprouver « en bloc. » Mais se promener, si je puis dire, le sourire aux lèvres, à travers cette époque, répandre également sur toutes choses les grâces légères, — oh ! bien légères, — d’une ironie transcendantale, et, quand on marche à l’échafaud, songer à la bagatelle, c’est peut-être faire preuve d’un esprit médiocrement philosophique ; c’est contempler le monde par le gros bout de la lorgnette ; et, pour tout dire, c’est manifester une certaine impuissance foncière à embrasser dans toute sa grandeur un grand événement historique. J’ai peur que l’examen de la Vie de Jeanne d’Arc ne nous conduise à la même conclusion.


III

Car M. France, on le sait, a voulu, comme son maître Renan, écrire sa Vie de Jésus, et il s’est fait, sur le tard, l’historien de Jeanne d’Arc. J’ai tort d’ailleurs de dire : sur le tard, car si le livre n’a vu le jour qu’en 1908, il était préparé et commencé de longue date. De tout temps, l’auteur de Thaïs a été attiré par la glorieuse et sainte figure de la Pucelle, et, dans ses chroniques de la Vie à Paris ou de la Vie littéraire, toutes les fois que l’occasion se présentait de parler d’elle, il la saisissait avec empressement. Il y a près de trente ans, il écrivait déjà :


Une messe a été célébrée à Notre-Dame des Victoires, le lundi 30 mai 1886, pour le 455e anniversaire de la mort de Jeanne d’Arc. La religion honore cette sainte ; la patrie et l’humanité lui doivent les plus pieux hommages. Elle nous a rendu notre patrie et elle a montré au monde ce que peut l’amour. Je ne puis me défendre de contempler un moment avec vous cette belle mémoire. On vous dit qu’il y a deux Frances, l’ancienne et la nouvelle ; que celle-ci est bonne et que l’autre était mauvaise. Ne le croyez pas. Il n’y en a qu’une. Elle s’est développée ; elle n’a point changé de