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de douars. S’il faut combattre, nous sommes assez forts par le nombre et le terrain pour obtenir un beau succès. » Imbert réfléchit un instant ; puis des plantons s’essaimèrent, porteurs d’ordres exécutés avec célérité. Dix minutes après, le détachement était rangé sur la position indiquée par Saïd, et qu’un rapide examen avait révélée avantageuse à souhait.

Le panorama des montagnes, les gorges où le Grou se frayait péniblement un passage, apparaissaient maintenant dans tous leurs détails. A 200 mètres au-dessous de la troupe silencieuse, une dizaine de douars, tapis au bord de la rivière, resserraient leurs cercles de tentes brunes autour de troupeaux entassés, que les enfans s’apprêtaient à diriger promptement vers les sentiers de la montagne. Une animation insolite secouait à cette heure matinale les hommes et les femmes qui semblaient se concerter pour un déménagement imprévu. Quelques tentes abattues déjà confirmaient les projets de fuite, tandis que des guetteurs cachés en face, derrière les roches à mi-pente, se préparaient à la bataille et poussaient des cris d’appel dont l’écho prolongeait les notes inquiètes. Ils avaient aperçu les canons de 65 autour desquels les artilleurs s’empressaient, les mitrailleuses, les soldats dissimulés dans les arbres et qui dessinaient, invulnérables, une ligne menaçante, prélude redoutable d’une imminente razzia.

D’un signe Imbert pouvait tout anéantir. La tentation était forte du succès facile, brillant et décisif, obtenu sans pertes, qui lui donnerait une notoriété de grand guerrier. Mais, élevé à l’école des Pennequin, des Galliéni, des Archinard, il pensait que la pacification d’un pays n’exige pas au préalable le massacre de ses habitans, même rebelles, et que la force a toujours le temps de se manifester : « Je ne suis pas un boucher !» dit-il a quelques officiers qui le pressaient de déchainer la trombe des cavaliers, l’ouragan des fusils et des canons. « Je préfère d’abord les engager à se soumettre, puisqu’ils ne peuvent nous échapper. S’ils refusent, alors seulement, ce sera tant pis pour eux ! »

Merton jubilait en écoutant cette déclaration, conforme à ses propres sentimens : « Faut-il dire aux partisans d’appeler ici les notables de ces douars ? demanda-t-il. — Oui, mais faites vite. Par l’impatience belliqueuse des uns et la frayeur légitime des autres, nous risquons d’entendre les fusils partir tout seuls. »