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Merton aussitôt se tourna vers Saïd qui trépignait : « Tu as compris, caïd ! Envoie les partisans crier que les notables doivent arrêter le mouvement et venir nous voir sans retard ; sinon, le grand chef va tout casser ! »

Quelques instans après, des voix glapissantes retentissaient dans les fourrés ; en face, d’autres répondaient. Au loin, des groupes qui semblaient accourir au secours s’arrêtaient pour observer. Les troupeaux qui s’ébranlaient se figeaient sur place et l’agitation cessait dans les douars. Puis, des hommes se détachèrent, sans armes, franchirent le Grou et montèrent lentement vers la plate-forme où se tenait Imbert. Loqueteux et timides, ils amenaient le petit taureau emblème de leur soumission, et ils promenaient à la dérobée, sur la troupe aux aguets, des regards craintifs. Ils s’efforçaient en vain de paraître impassibles et ils-semblaient écrases par la conviction de leur faiblesse devant la catastrophe qui les menaçait.

Du geste, Imbert mit fin à leurs effusions : « Merton, signifiez-leur ma volonté. J’accepte leur soumission ; mais, puisqu’ils sont Zaër, ils doivent habiter avec leurs frères. Dans une heure, ils camperont sur les terrains que vous leur indiquerez. Ce délai passé, je traiterai en ennemis tous les douars que je verrai sur les bords du Grou. » En vain les notables attestèrent leurs occupations innocentes de pauvres bergers soupçonnés à tort des pires méfaits, Imbert fut inflexible et, montrant le soleil déjà haut, il fixa dans le ciel la limite de sa patience. Terrifiés par ce laconisme et le déluge de fer qu’il présageait, les notables dévalèrent en désordre pour hâter les préparatifs d’un exode sans gloire sous les vifs reproches des intransigeans.

Imbert revit alors les scènes qui lui rendaient si agréable le souvenir de son premier essai de politique indigène à Camp-Marchand. Le dernier bœuf et la dernière femme disparurent enfin dans un repli du plateau, sans qu’un seul coup de fusil eût troublé l’ordre du cortège et le calme de la vallée. Couchés à l’ombre des rochers et des arbres, engourdis par la chaleur et la fatigue de la marche nocturne, officiers et soldats digéraient en silence le repas froid ou dormaient d’un sommeil lourd. Seules, quelques sentinelles surveillaient les grappes de points blancs qui dénonçaient, sur le versant opposé, une foule d’observateurs hostiles, mais contenus hors de portée par le sentiment de leur impuissance. Rassuré sur les suites de l’aventure, Imbert. à son