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Pointis trépignait d’aise. Imbert renonçait à faire venir du poste un détachement qui ne se présenterait pas avant quatre longues heures sur la position : « Ce sera moins difficile que je ne le pensais, dit-il. Nous n’avons qu’à faire Bayard sur le pont du Garigliano ! — C’est possible, conclut Merton, car d’en bas ils ne voient pas ce qui se passe ici. » Les partisans et les goumiers en profitaient avec adresse : ils tiraient, changeaient de place et leur petite troupe faisait un volume énorme. Il n’en fallait pas davantage pour rendre vraisemblable aux ennemis l’arrivée imminente de toutes les forces de Sidi-Kaddour. Peu à peu, en groupes circonspects, après de violens conciliabules dont Imbert et ses amis percevaient les échos, ils se dirigeaient vers le Grou et se dispersaient sur les sentiers de l’autre versant. Ils semblaient avoir hâte de revoir leurs douars, et leur fuite rapide les montrait plus soucieux désormais de se défendre que d’attaquer. En moins d’une demi-heure il ne restait plus sur le sol Zaër qu’une dizaine d’individus rassemblés autour d’un mort. Le corps enveloppé dans un grand burnous faisait une petite tache blanche sur l’herbe ; le bruit des lamentations montait jusqu’au plateau, et les compagnons du défunt tournoyaient irrésolus, mais inoffensifs.

Imbert, Merton et Pointis se regardèrent ahuris, puis un rire convulsif les secoua : « Ainsi, dit Imbert, nous voilà maîtres du champ de bataille. On pourrait même compléter la victoire en faisant des prisonniers ! » proposa Pointis excité par ce triomphe, en montrant le cortège funèbre qui s’ébranlait enfin vers le Grou : « Ne soyons pas si ambitieux, remarqua Merton. Nos troupes ne semblent pas se soucier de tenter la poursuite. — Oui, conclut Imbert, les partisans manqueraient d’entrain. » Et, se tournant vers eux, il les congédia : « Rentrez chez vous, braves gens, les ennemis ne reviendront pas aujourd’hui ! »

Ils ne devaient pas revenir de longtemps. Les travaux des champs ne suffisaient pas à expliquer leur inertie. En réalité, les Bou-Acheria comme les tribus Zaïan avaient été désagréablement impressionnés par ces symptômes d’une activité qui ne se confinait pas derrière les murailles de Sidi-Kaddour. Le danger des incursions sur le territoire Zaër était confirmé par la mobilité de la garnison. Presque chaque jour, dans les vallons les plus sauvages, sur les crêtes les plus abruptes, quelque détachement apparaissait aux heures les plus variées, dont la