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d’accès au plateau. Les soldats narguaient la couardise du Zaïani, coupable, d’après eux, d’avoir manqué au rendez-vous. Ils le supposaient servi par une police occulte d’agiles Sherlock-Holmes, qui éventait les desseins les plus secrets et les mystères des marches de nuit les plus imprévues. Imbert et Merton discouraient sur cette mehallah dont l’arrivée posait une énigme qu’ils étaient incapables de déchiffrer. A peine ils parvenaient sur le plateau que leur perplexité augmenta.

Pointis, qui suivait en curieux les cavaliers des flanc-gardes, accourait à vive allure : « Venez voir ! criait-il. Vos douars décampent ! » Les deux amis s’élancèrent aussitôt vers le vallon qu’il indiquait et qu’ils savaient occupé par quelques fractions d’Ouled Moussa. Pointis avait dit vrai. Les tentes étaient déjà roulées sur les chameaux, et la confusion bourdonnante des habitans témoignait d’une fuite précipitée : « Pourquoi partez-vous ? » demanda brusquement Imbert aux notables qui s’approchaient pour le saluer « Nous avons peur ! répondirent-ils d’un air angoissé. — Peur de quoi ? hurla Merton. — Je ne sais, nous ne savons, mais nous avons peur ! — Soit ! mais où allez-vous ? — Nous voulons camper près du poste. — Pourquoi ? — Parce que nous avons peur ! — Allez au diable ! » conclut Imbert, qui comprit qu’on n’en pouvait tirer aucun renseignement.

Pendant les jours suivans, ces exodes se multiplièrent. Les cavaliers en patrouille, les officiers en reconnaissance constataient que les habitans abandonnaient le pays en avant de Sidi-Kaddour. Peu à peu, le plateau reprenait son ancien aspect de désert hostile et mystérieux. Les prestataires dont le zèle avait émerveillé Pointis faisaient la grève sur les routes où ils ne se trouvaient plus en sécurité. Le versant zaïan de la vallée du Grou, le chaos des montagnes qui dressait au Sud une barrière entre les Tadla et les Zaër apparaissaient toujours aussi vides aux détachemens qu’Imbert expédiait sur les observatoires les plus lointains. Mais les trois tribus frontières du secteur semblaient céder à quelque pression inconnue ; leurs douars se tassaient autour du poste, comme s’ils en attendaient un secours contre quelque danger terrible et imminent. Et la réponse ambiguë : « Nous avons peur, » revenait en leit-motiv à toutes les questions. Cependant, nulle défection n’orientait Imbert et Merton dont les soupçons se perdaient dans le noir.