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« La situation politique n’est pas bonne ! disait sans cesse Merton. Il se passe quelque chose que nos tribus doivent savoir ; mais quoi ? » Une estafette enfin apporta la réponse à cette question obsédante. Dans une circulaire qu’expliquait un lot de télégrammes officiels, l’autorité supérieure invitait les chefs de poste à la prudence, leur recommandait d’éviter tout engagement, qui pourrait être transformé en échec par la jactance de nos ennemis. A Sidi-Kaddour, les pessimistes songèrent alors à la duplicité légendaire des Zaër et prophétisèrent les pires catastrophes. Elles parurent vraisemblables après les rapports concordans des émissaires qui arrivaient de toutes parts.

C’est ainsi que la garnison apprit les événemens de Mogador, la trahison d’Anflous, les combats de Dar-el-Kadi. L’insurrection se ranimait dans le Sud. Quelques succès passagers augmentaient le prestige d’El Hiba : on parlait de convois enlevés, de blessés capturés, et ces exploits exagérés par la distance et les mirages marocains donnaient le signal d’une offensive générale des croyans contre les Roumis. Moha-ou-Ammou le grand chef des Zaïan, Moha-ou-Saïd le grand chef des Tadla, s’étaient concertés pour attaquer les postes qui surveillaient leurs territoires ; le second avait déjà commencé les hostilités autour de l’Oued Zem, qui était étroitement bloqué.

« Qu’attend donc le Zaïani pour entrer, lui aussi, en campagne ? » demanda Imbert à Merton qui résumait ainsi les événemens d’après les témoignages soigneusement recoupés de ses espions. « Il a convoqué le ban et l’arrière-ban de ses tribus de l’Atlas, dit Merton, et il ne bougera d’Hartef où il est toujours campé avec sa mehallah que lorsque tous ses guerriers seront réunis.» Imbert déroula la carte du secteur et réfléchit longuement. Sous ses yeux, ce chef-d’œuvre de patience et de précision étalait les montagnes, les ravins, les sentiers les plus cachés du secteur et des pays limitrophes. Mais il renonça vite à des projets audacieux. « Bigre ! murmura-t-il, ne risquons rien, et jouons à coup sûr ! »

Quelques instans après, un « supplément au rapport » annonçait les dernières nouvelles à la garnison, et les officiers convoqués au Bureau de la Place étaient initiés au programme imaginé par Imbert pour conjurer l’orage qui se préparait. En faisant camper chez les tribus occidentales du secteur tous les douars réunis aux environs du poste, pour mettre un désert de