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Dès l’arrivée, l’incident s’expliqua. Pressés de questions, les prisonniers, reconnus pour être des dissidens, avouèrent avec arrogance qu’ils avaient franchi le Grou pour tenter un mauvais coup ; en apercevant la troupe sur le plateau, ils s’étaient décidés à la retraite, mais ils avaient été surpris par les cavaliers : « L’affaire est claire, dit Merton à Imbert qui écoutait l’interrogatoire. D’après les circulaires officielles, tout rôdeur pris les armes à la main doit être remis à la justice sommaire du Makhzen. Le Makhzen, c’est nous ! — Sans doute ; mais il n’est pas inutile de faire appel à l’expérience d’un caïd. Justement, Djilali est ici, et les pillards ont été rencontrés sur le territoire de sa tribu. »

En présence de leurs juges, les prisonniers renouvelèrent leurs aveux avec une fataliste franchise : « Caïd ! tu as entendu ? dit Imbert. A quelle peine la loi musulmane condamne-t-elle ces voleurs ? — Ils doivent avoir les deux mains coupées, affirma le caïd sans sourciller. — Et vous, Merton, qu’en pensez-vous ? — Ils méritent la mort. — C’est aussi mon avis. Caïd, reprit Imbert, nous ne pouvons accepter ta sentence. Nos coutumes ne permettent pas de mutiler des brigands. Ils vont être fusillés. » Le caïd acquiesça du mektoub traditionnel.

Les prisonniers entendirent leur arrêt avec une hautaine indifférence. Il fut exécuté sur-le-champ. Tandis que Merton faisait creuser trois fosses dans un ancien cimetière musulman, huit Sénégalais emmenaient les condamnés hors du poste, au pied d’un énorme rocher d’où quelques factionnaires éloignaient les badauds. Bientôt après, trois détonations assourdies annonçaient l’épilogue de ce drame rapide qui impressionna favorablement la population du secteur.

Pointis ne manqua pas, d’ailleurs, de blâmer avec précaution la rapidité de l’enquête et la sévérité du châtiment : « Voyons, Imbert ! on ne fusille pas des prisonniers !... — Pardon ! dit Imbert interloqué. Vous confondez voleurs et combattans. C’est l’espoir du pillage, et non le patriotisme, qui lança les trois défunts dans leur funeste aventure. Je veux que la sécurité des chemins, la tranquillité des douars ne soient pas chaque jour menacées par quelques bandits insaisissables. Après deux ou trois exécutions analogues, les rôdeurs se calmeront, ou ils resteront chez les voisins pour exercer leur industrie. »

Pendant plusieurs jours, la prudence des ennemis sembla