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être. Leur raison claire constate son impuissance et autorise alors l’intervention du sentiment, du rêve, de la vénération, des pressentimens, de l’intuition, bref, de toutes les forces les plus profondes de leur âme. (Applaudissemens cm centre et à droite.)

M. BOUGE. — Voilà un magnifique langage.

M. MAURICE BARRÈS. — Cette inquiétude, cette tristesse, cet inassouvi au milieu du laboratoire, c’est ce que Albert Dürer a représenté dans cette sublime gravure de Melencholia au-dessous de laquelle on pourrait écrire : Insuffisance de la science pour contenter une grande âme. C’est l’aventure de Faust, l’aventure de tous les Faust, des plus hautes et plus savantes intelligences.

Et prenez bien garde, messieurs, que cette émotion de qualité religieuse, ces forces profondes orientées vers le mystère qui est au fond de toute réalité, elles existent chez chacun de nous.

Sans doute, le cours de la vie, la médiocrité et la fatigue des besognes quotidiennes nous empêchent, et nos chétives aventures sont moins fécondes en réflexions que la magnifique détresse de Faust et de Pascal. Cependant la naissance, la fondation d’une famille, la mort, les extrêmes malheurs comme les maladies inguérissables dont on a l’idée que l’on ne pourra pas sortir, le sens de l’injustice constante et continue de la vie ramènent l’attention du plus simple sur ce qu’il y a d’incompréhensible et d’implacable dans la destinée humaine. Le gémissement d’une vieille femme agenouillée dans l’église de son village est du même accent, traduit la même ignorance, le même pressentiment que la méditation du savant ou du poète. (Vifs applaudissements.)

C’est qu’aussi bien quelques notions de plus ou de moins n’y changent rien, nous sommes tous le même animal à fond religieux, inquiet de sa destinée, qui se voit, avec épouvante, encerclé, battu par les vagues de cet océan de mystère dont a parlé le vieux Littré et pour lequel nous n’avons ni barque ni voile. (Très bien ! très bien !)

Sous le porche de l’église, chacun laisse le fardeau que la vie lui impose. Ici le plus pauvre homme s’élève au rang des grands intellectuels, des poètes, que dis-je ? au rang des esprits : il s’installe dans le domaine de la pensée pure et du rêve. Rien de fastidieux ni de bas n’ose plus l’approcher, et tant qu’il demeure