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place de l’église qui périra avec l’église. A-t-on réfléchi que dans le village, presque toujours, les seuls grands arbres sont devant le portail. Ils disparaîtront, les vieux ormes, les beaux feuillages, car ils profitaient du caractère sacré du lieu ; ils s’en autorisaient pour durer, pour résister à l’utilitarisme du paysan qui, de lui-même, n’a que faire de végétation décorative. Ainsi, de quelque côté qu’on examine les destructions qui se préparent, c’est le plus morne enlaidissement de la vie rurale et j’y reviens comme à mon leitmotiv, c’est une dégradation de la sensibilité française privée de tous ses modèles.

Que de lettres ! J’en pourrais composer tout un florilège. Ecoutez ce cri charmant d’indomptable espérance et de regret, pareil à ces petits poèmes très brefs, à ces chants de saüdades chargés de nostalgie qui s’élèvent dans les solitudes de l’Amérique du Sud par les soirées d’été, à l’heure où l’on éprouve de la beauté du monde un sentiment si fort qu’il se termine en douleur : « Si vous aviez entendu nos trois cloches sonnant au-dessus de la rivière, vous auriez encore plus de chagrin de notre église perdue. Certes, on la reconstruira, mais retrouvera-t-on trois notes semblables à celles qui ont cessé de chanter ? »

Vous imaginez l’enchantement que de tels accens m’apportaient. A chaque fois que je m’y reporte, ils m’assurent que je suis dans la grande vérité humaine, au milieu des plus belles régions du songe et de la vie.

Assurément tout mon courrier n’a pas la délicate émotion d’art que respirent ces fragmens, mais quelle ardeur, quel sentiment d’une mission civilisatrice dans les lettres des curés, des humbles desservans de campagne ! S’il se trouve des Français pour croire le catholicisme en péril du fait de la Séparation, qu’ils se rassurent. Notre petit clergé possède l’enthousiasme guerrier et une volonté religieuse qui a ses moyens invincibles. Il faut les voir, nos curés rustiques, en face des préfectures et des municipalités brutalement ou sournoisement hostiles ! Ils défendent le seuil vénérable pied à pied ; ce sont des drames balzaciens qui se déroulent dans les paroisses, autour de l’église croulante et du presbytère lézardé. Belles, fortes lettres plébéiennes des curés, toutes pleines des joies et des irritations de leur petit troupeau : on y sent battre le cœur des campagnes françaises.

Les lettres des évêques ont naturellement moins de saveur.