Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/796

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la journée, pas un costume de travail ne paraît dans le pays. C’est le repos, c’est le bien-être. En Eure-et-Loir, rien de semblable. Pas un homme ne quitte ses vêtemens de travail. Peu de femmes interrompent leur labeur quotidien. Les vêtemens sont ceux d’hier, les pensées celles du lendemain, l’effort celui de tous les jours. Il y a bien quelque armoire où reposent des redingotes et d’antiques chapeaux hauts de forme, mais cela ne sert que pour les enterremens et les mariages, car les foires mêmes n’existent plus, les marchands venant à domicile. Bien peu pour Pâques et la Toussaint, à peine pour la fête locale et le 14 juillet, quitte-t-on ces vêtemens de travail qui semblent incrustés à ces corps, à ces corps de sauvages, vous avez dit le mot. Les chevaux de bois de la fête locale, et les bals dans la lourde atmosphère de l’auberge, sont les seules diversions à l’enlizement de ces corps et de ces esprits dans les préoccupations matérielles et l’effort continu qui les absorbent. Si la tenue et la propreté du vêtement, si les impressions artistiques, si l’idée morale ont une valeur, même en dehors de toute conception religieuse, quelle sera, de ces deux populations, celle dont les mœurs seront plus affinées, plus policées ? Poser la question, c’est amener la réponse... »

Sur le même thème, un autre correspondant redouble : « Monsieur, je veux vous répéter ce que nous contait le grand-père de ma femme, qui avait vu les églises fermées sous la Révolution. Rien de plus triste, disait-il, que cette époque pour les habitans des campagnes. L’office du dimanche ayant cessé, ils se morfondaient d’ennui. Les femmes n’ayant plus, pour se montrer, le lieu de rendez-vous qu’était l’église, ne faisaient plus de toilette et ne paraient plus leurs enfans. Les hommes ne se rasaient plus et portaient leur chevelure inculte ; ils laissaient souvent passer le jour où ils avaient habitude de changer de linge. A quoi bon, puisque, isolés dans leurs champs ou dans leurs bois, ils n’avaient pas à paraître ? Les habitans souvent dispersés dans des hameaux éloignés ne se réunissaient plus, l’occasion des offices religieux n’existant plus. On avait la sensation qu’un immense crêpe recouvrait le pays. Ce serait celle que nous éprouverions si cette sinistre époque revenait ; et elle reviendra si votre belle campagne échoue. »

Et moi, lisant ces deux lettres dont j’approuve la justesse, j’ajoute : ce n’est pas seulement le dimanche, c’est encore la