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d’un mot, un seul, mais qui va très loin : c’est le moment de l’appel des âmes.

« Ici, monsieur l’inspecteur, on entend palpiter votre émotion, une émotion de la meilleure qualité professionnelle et humaine. Vous êtes ému d’amitié paternelle en présence de ces petits êtres ; vous voudriez qu’ils fussent augmentés par l’école, par vos soins, et vous vous préoccupez scrupuleusement d’éveiller, d’élargir, d’ennoblir en eux la faculté de sentir, tout autant, plus encore que de leur donner des notions.

« Cet éveil et cette éducation de l’âme, vous dites justement qu’il faut les chercher ailleurs que dans les livres. Les sentimens que nous dictent les livres valent peu quand nous sommes petits, auprès de ceux qui nous arrivent ayant passé par l’âme de nos parens, et déjà éprouvés dans les assauts de la vie. Quand nous sommes petits, les objets eux-mêmes nous parlent. Au milieu du village, que dit l’église aux enfans ? Je l’ignore. De son discours immense, chacun reçoit selon son âge et son cœur, et plus que d’aucune autre maison. Nous voilà, monsieur l’inspecteur, par un temps de décembre, les deux pieds dans la boue, en face de la plus pauvre église rurale. Quelle pensée solide et complète elle dresse devant nous, cette vieille bâtisse construite pour être battue des vents et pour exprimer dans ses jeux d’ombre et de lumière les aspirations les plus délicates, toutes les pulsations de l’âme. Elle est chargée des pensées de tous, de tous dans leur plus haut moment. Bien mieux que des notions, nous en recevons du ton, plus d’énergie, de force, d’éclat, une âme plus tendue, mieux capable de pensées graves. Il semble qu’à cette minute nous prenions connaissance des trésors enfouis dans notre mémoire et que nous nous portions jusqu’aux racines de notre vie spirituelle. Et je ne vous par le pas de religion. Mais le riche passé nous enveloppe et nous mes dans les meilleures dispositions morales. Ce que nous ressentons, ce n’est pas une vague ivresse sans cause, c’est la joie de vivre avec une collectivité et d’associer à l’humilité d’une vie humaine la vaste expérience des siècles. Des générations d’ancêtres, dont la poussière forme le tertre où l’église appuie ses fondations, arrivent encore par elle à la vie, et ce qu’elle proclame est proclamé par des monumens pareils dans tous les villages de France à travers les siècles. Quel élan pour l’esprit et quelle sécurité ! Nous descendons un grand fleuve où l’eau