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de mort me suivent, continuent d’enfler mes dossiers, et ces faits, que je distribue dans d’innombrables articles de journaux, sont vivifiés en moi par des réflexions et des songeries au jour le jour...

Quel milieu agréable et salubre, nos communes champêtres telles que nous les ont faites les siècles ! Écoutez les bruits qui nous sont familiers et qui montent du village voisin, martelage de la forge, piétinement du troupeau, raclement de la chaîne sur la mangeoire, mélopées de l’école, causeries du foyer, son de la cloche, et je ne fais pas fi du tintement des verres au cabaret, ou, dans le midi, du choc des quilles renversées par la boule sur la promenade. Tous ces bruits, d’inégale importance, montent, se réunissent, se confondent. C’est la rumeur du village français, animant les mirabelliers de Lorraine, les pommiers de Normandie, les oliviers de Provence. Et qui de nous ne l’aimerait ! Tout y est vrai, créé par le temps, chargé de sens, C’est une harmonie, c’est la somme des expériences accumulées par les générations. L’individu y trouve sa nourriture complète. Toutes les parties de l’âme y sont cultivées, menées quasi au point de perfection, juste assez loin de la barbarie, sans aller à ces raffinemens qui ne tardent pas à débiliter une race. Les exemples du foyer, les habitudes du travail, les leçons de l’école, la doctrine et l’atmosphère de l’église, rien de tout cela n’est mauvais. Je l’accepte dans sa totalité. Mais est-il possible que l’église y gêne certains et qu’ils veulent la détruire ! Elle contient pourtant quelque chose, elle met une réalité à la disposition du village. Il y a des heures du jour, des sites, des solitudes, des malheurs qui sont des maîtres de vie intérieure, et qui nous font l’âme plus lourde, plus grave, plus vraie, mais l’église surpasse tous ces maîtres. Rien ne vaut, si l’on manque de cœur, et c’est dans les poèmes de l’église qu’au village on se forme et se nourrit le cœur.


Aujourd’hui, jour de la procession du 15 août, l’église va se déverser en chants sur la petite ville. Vers cinq heures, les cloches commencent de sonner, et bientôt le bruit de la musique s’avance avec allégresse dans la rue où le soleil déjà incline n’éclaire plus que le haut des maisons... Voici paraître un vaste dos rouge, le suisse, dans son superbe uniforme. Il ouvre le défilé, le règle et le modère en marchant à reculons. Puis sur