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V

La première auberge où se présente la famille Smollet, à son arrivée à Lyon, lui demande 27 francs par jour « pour un appartement composé de trois médiocres chambres au troisième étage, » plus 72 francs pour le souper et le diner et 7 francs pour son domestique. « J’en aurais eu pour 106 francs par jour sans compter le breakfast et le café de l’après-midi. Je fus si suffoqué de cette volerie que, sans répondre un mot, nous nous fîmes conduire à une autre auberge où je suis maintenant. Je paie 75 francs par jour, je suis très mal logé et très médiocrement nourri ; j’aurais pu économiser moitié en mangeant comme et avec tout le monde ; mais c’est un plan que ni ma santé, ni celle de ma femme, ne me permettait de suivre. »

Les loyers étaient chers à Lyon et ils augmentèrent fort sous Louis XVI ; celui de l’hôtellerie du Parc, la plus fréquentée de la ville, passa, de 1778 à 1787, de 22 000 à 40 000 francs. Sans doute les prétentions des hôteliers lyonnais avaient haussé depuis le XVIe siècle, où Erasme, surpris de leur bon marché, déclarait ne pas comprendre comment ils peuvent traiter avec cette abondance pour un prix si médiocre : « On croirait, dit-il, qu’ils y mettent du leur plutôt que de chercher à amasser du bien. » Il n’en était pas de même des « hôtes » d’Allemagne, gens de qualité parfois qui, toujours au dire d’Erasme, se montraient arrogans vis-à-vis de la clientèle et lui mettaient volontiers le marché à la main : « Si vous n’êtes pas contens, vous tenez le remède, allez ailleurs. »

En Suisse au contraire, Montaigne se montre fort satisfait des hôtels où, dans les salons appelés « poêles, » tendus de cuir gaufré et ornés de volières, on joue de l’orgue, de la viole et de l’épinette. « Lorsqu’on arrive dans une auberge suisse, écrit cent ans plus tard (1682) le bénédictin Mabillon, l’hôte et l’hôtesse vous tendent la main et vous assurent qu’il ne pouvait venir personne chez eux qui leur fût plus agréable. » Ces bons procédés n’empêchaient pas que, dans la salle à manger, les mouches étaient en si grande abondance qu’il fallait s’en défendre avec un petit balai.

Les mots, suivant les caprices de la langue, se renouvellent plus ou moins vite que les choses ; tantôt les mêmes choses se