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sont exprimées suivant les époques par des mots différens ; tantôt des mots immuables continuent à désigner des choses transformées. C’est ainsi que le mot d’ « hôtel » s’est maintenu de l’Hôtel-Dieu à l’Hôtel-Palace, bien que les rites de l’hospitalité et aussi sa forme et ses prix aient changé depuis 700 ans. L’hôte, sacré pour les peuples antiques, n’est plus regardé de nos jours comme « envoyé des dieux » que par les aubergistes dont il alimente le commerce. Les nations civilisées sont peu tendres aux nomades pauvres, dits « vagabonds ; » c’est chez elles désobéir à la loi que de ne pas demeurer quelque part. Aux nomades riches, dits » cosmopolites, » l’abri tarifé que réservent les caravansérails modernes n’a rien de commun avec celui que nos pères trouvaient dans les « hôtels » ou, quand ce terme aristocratique fut passagèrement proscrit à l’époque révolutionnaire, dans les « maisons d’étrangers. »

Un édit fiscal de 1628 imagina, sans succès d’ailleurs, d’ériger en offices héréditaires la profession des hôteliers ; cela n’eût pas égalisé leurs talens ni leur humeur dont les jugemens contradictoires des voyageurs nous attestent l’extrême variété. « Avec quelle joie le soir, quand vient la fin de l’étape, dit un bourgeois du temps de Richelieu, n’aperçoit-on point l’hôtellerie et comme on admire la prudence et humanité de celui qui, premier, inventa de bâtir semblables lieux sur les grands chemins où un homme harassé, et mouillé, quoique étranger et inconnu, est aussi bien traité qu’en sa maison. » Il n’était pas toujours aussi bien traité, lorsque « la belle hôtesse a pratique avec des garnemens qui, la nuit, dévalisent les voyageurs. »

Les maîtresses d’hôtel, servantes, etc. écrit un Anglais sous Louis XV, « n’accueillent pas les étrangers avec complaisance, ne viennent pas à leur rencontre ; il faut demander plusieurs fois une chambre pour l’obtenir !... » Au contraire, un Italien, la même année (1763), vante la chère que l’on fait dans nos auberges, la promptitude avec laquelle on est servi, les lits excellens, l’air modeste de la personne qui vous sert à table, personne la plus accomplie de la maison, dont le maintien et les manières inspirent le respect au libertin le plus éhonté. Qui voit avec plaisir les valets en Italie avec leur effronterie et leur insolence ? De mon temps, on ne savait en France ce que c’était que surfaire ; c’était véritablement la patrie des étrangers. »