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Tout flatteurs qu’ils soient pour notre amour-propre national, ces éloges ne sauraient être acceptés sans réserve : à Tours, en 1784, une voyageuse ne trouve pour souper que « les restes d’une carpe laissée sans doute par de précédens convives auxquels l’odeur avait suffi ; » elle préfère se contenter d’un morceau île pain. Un déjeuner composé a de deux petits pains, d’un peu de beurre, de trois cuillerées de lait, de sucre jaunâtre et d’eau bouillante (j’avais mon propre thé), nous est compté 8 francs et tout à l’avenant. » La propreté de l’hôtel Saint-Julien, à Nantes, laissait gravement à désirer : « nos lits fourmillaient de punaises, ma femme de chambre et moi en tuâmes 64 ; deux jours après, on démonte les lits et on tue près de 400 punaises ; jamais, depuis le commencement de notre voyage, nous n’en avions vu en telle abondance. « Chaque nuit, pendant une semaine de séjour, leur massacre partiel continua avec succès.

C’est d’hier ou d’avant-hier seulement, depuis le regain de clientèle apporté par la circulation automobile, que les punaises ont disparu dans les petites villes ; il y a longtemps en revanche qu’à Paris un patron n’offre plus, comme sous Louis XVI aux voyageurs de l’hôtel d’York, rue Jacob, ce divertissement délicat et gratuit de voir danser ses domestiques dans la grand’salle.

Un touriste actuel ne noterait plus, comme Gaspard Dollfus en 1663, que l’hôtellerie de Flandres à Paris est un bon gîte, parce qu’ « il s’y trouve seul dans une belle chambre avec un lit bien monté ; » la jouissance d’une chambre et d’un lit nous paraissent banales et constituant pour chacun le minimum de confort et de mobilier. Erreur ! Sans parler des petites auberges comme celle où Mme de Sévigné ne trouvait pour lit que de la paille fraîche « sur quoi, raconte-t-elle, nous avons tous couché sans nous déshabiller, » les lits étaient généralement en nombre inférieur à celui des hôtes ; d’où nécessité de coucher souvent avec des inconnus.

L’expression de « mauvais coucheur » ne se prenait pas jadis au figuré ; car lorsqu’on avait, par une civilité assez ordinaire, « offert la moitié de son lit » à un survenant tardif, affligé d’un naturel égoïste ou agité, on risquait de passer une nuit sans sommeil. Et comme la pièce principale, qui servait aussi de salle à manger, était toujours garnie de plusieurs lits on se trouvait, en cas de presse, sept ou huit voyageurs de différens